PATRIMOINE INDUSTRIEL
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Echouement d'El Torre del Oro
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Notre mer, bien connue pour son côté
... bonne mère, fut et est aussi redoutée par ses sautes
d'humeur, ses violentes tempêtes, ses fameux "coups de mer"
particulièrement aux équinoxe.
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Le plus considérable
des sinistres est celui qui se produisit le 10 ventôse An V : mardi
28 février 1797, en vue du Grau de la Vieille Nouvelle, rappelé
par l'inscription au tableau de Saint-Pierre, visible dans l'église
: trois bateaux pêcheurs de Gruissan furent submergés et vingt-neuf
personnes composant l'équipage y périrent. Le patron d'un
quartrième fut enlevé par dessus bord avec deux de ses matelots. |
Le raz
de marée fut tellement violent que la mer et l'étang de
la Vieille Nouvelle ne formaient qu'une seul masse d'eau en furie et un
bateau fut drassé jusqu'au bord de la Robine. |
Les cadavres
des naufragés furent retrouvés sur la plage depuis la Vieille
Nouvelle jusqu'à Leucate et ... dans quel état ? |
L'acte de décés
des trente deux marins péris en mer, dont six agés de moins
de vingt ans fut dréssé le 6 germinal, soit le lundi
27 mars 1797 par le
maire de Gruissan suivant le témoignage des patrons : Blaise
Iché, Joachim Gimié, Alexandre Bouis, rescapés du sinistre. |
L'invention connue
un siècle plus tard, ces éffroyables moments ne purent être
gravés en photographie ou cartes postale. |
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Le Lutin
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Tous comme le
"Lutin", ou la flotille de bétous (ci-dessus), le
bateau le "Torre del Oro" a lui aussi toute une histoire
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Photo de 1889
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Arrivé,
ou plutôt échoué par grande tempête sur le sable
de la plage de Gruissan, poussé par d'énormes vagues le 16
novembre 1908, le vapeur espagnol "Torre del Oro" de 1800
tonnes et de 75 m de long, dont la cargaison, composée en majorité
d'une énorme quantité d'agrumes, fut en grande partie jetée
par dessus bord par l'équipage désireux de se dégager
sans faire appel à Sète ou à Marseille. |
Ledit équipage
fut d'ailleurs en partie sauvé par Monsieur Doucet, douanier, ce
qui lui valut un témoignage de satisfaction et remerciements du Ministère
de la Marine. |
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Des remorqueurs
venus de Marseille ne réussirent pas, malgrès leurs éfforts
conjugés et après avoir cassé maints filins et brisé
maintes élingues ou amarres, à l'arracher de sa prison de
sable. |
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Durant son séjour
forcé, tous les Gruissanais firent ample provision d'oranges et évidemment
s'en suivit une fort abondante et gratuite consommation. |
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Et puis ... la
mer mauvaise qui avait drossé le vapeur en terre, lui permit, une
fois apaisée, au changement de lune, de se dégager seul ! |
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Au matin, les
Gruissanais ne virent plus "leur bateau"... |
La "courante"
qui sévissait dans tout le village, dûe à la massive
consomation de ces fruits juteux, était là pour leur rappeler
que le "Torre del Oro" n'était pas un rêve
! |
Voici la relation de cet évènement maritime, donnée
par le correspondant local de "La Dépèche du Midi"
des 17 et 18 novembre 1908 |
16 novembre
: " Un vapeur de nationalité espagnole, dénomé
TORO DEL ORO capitaine Don Antonio Martinez, de Sevilla, comptant à
bord, trente cinq personnes dont vingt passagers est venu, vers midi,
s'échouer sur la côte en face Gruissan.
Aussitôt aperçu en détresse, des secours immédiats
ont été organisés par les soins de Monsieur Sacams
lieutenant des douanes, le brigadier Sarda, le syndic et les patrons de
pêche Iché et Iraille, enmenant avec eux, leurs embarcations.
Grâce à leur dévouement ces derniers sont parvenus
à secourir de ce mauvais pas 29 personnes qu'ils ont emmenée
dans le village et dont la population, avec le bon concours de Monsieur
le Maire (Joseph
Camp) s'est fait un devoir de leur procurer les meilleurs soins.
Le Capitaine, avec cinq hommes d'équipage ont voulu rester
à bord.
Le mauvais temps continue à tel point que le village est presque
totalement innondé.
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18 Novembre
: Voici dans quelles conditions a eu lieu l'échouement du vapeur
espagnol El Toro del Oro...
Ce navire jaugeant 1750 tonnes était parti de Saint Félix
(Espagne) à destination de Cette ayant seulement à bord
60 tonnes de marchandises (raisins, malaga et vin). Le temps était
favorable au départ : le Capitaine avait jugé tout d'abord
qu'il pouvait opérer son court voyage sans accidents, malgré
que le navire soit sur lest.
Arrivé dans le Golfe du Lion, le temps devient mauvais, la
mer se démonte, voilà la tempête ; les officiers du
bord n'ont pas tardé à reconnaître que leur navire
n'était pas suffissament chargé pour tenir la mer ; la machine
et le gouvernail ne pouvaient plus fonctionner. Se voyant dans l'impossibilité
de pouvoir faire avant et devant le grand danger qu'ils couraient, le
Capitaine, connaissant la côte sablonneuse a préféré
pour le salut commun, laisser aller le navire à la côte,
on espère pouvoir le renflouer.
Il nous appartient tout particulièrement de citer la conduite
de ceux qui n'ont pas hésité, au péril de leur vie,
à aller opérer le sauvetage. La barque "Les deux frères"
patron François Iché est partie, ayant à bord quinze
hommes, et avec une grande difficulté, ils ont réussi à
se mettre à proximité du navire qui était encore
à 150 m de distance. Là se sont déroulées,
non sans de graves accidents, des scènes frappantes ...
Impossibilité de parlementer d'aussi loin, les flots masquaient
le navire, l'équipage criait au secours et notamment les passagers.
N'écoutant que son sang-froid, Louis Bonnot, dit "Moro"
se lance tout habillé dans la mer, à la nage, cherche à
se rapprocher du navire et pendant demi-heure, roulé et fortement
secoué par les flots, il insistait malgrè tous les dangers
... Il est parvenu à parlementer avec l'équipage : Il leur
a ordonné ... de mettre la chaloupe à la mer et alors on
a établi un va-et-vient assez dangereux cependant, mais qui a pu
réussir.
Pendant que l'on opérait le sauvetage, Monsieur Sacams Lieutenant
des Douanes, s'est vu renversé sous la chaloupe ... et on a cru
un moment que cet officier était perdu. Monsieur Isaac Bonnot,
Capitaine en retraite, malgrè son âge avancé, opérait
avec un sang-froid et une vigueur exemplaires, avec l'eau à hauteur
d'homme ...
Voici les nom des sauveteurs : François Iché, Joseph
Iché, Louis Bonnot, Isaac Bonnot Capitaine en retraite, Ambert
Mémorin Capitaine en retraite, Sacams Lieutenant des douanes, Sarda
Brigadier, Doucet et Souques préposés, Jean Bouis, André
Benas, Lucien Taillade,
Victor Carrere, Baptiste Dematis, Osmin Rizoulières.
Nous ne pouvions laisser passer cette occasion sans dire que Louis
Bonnot dit "Moro" en est à sont quatrième sauvetage
et que le patron de la barque, "les deux frères", François
Iché, en est à son troisième ...
La barque "Les deux frères" avec ses patrons est
repartie hier matin à la première heure à destination
du navire échoué, ayant à bord Monsieur Camp, Maire,
2 officiers et 4 hommes d'équipage. Le navire n'ayant pu accoster,
le commandant a jeté à la mer une bouteille contenant plusieurs
dépêches et ordres.
Monsieur l'Administrateur de la Marine et le Consul espagnol ont été
recus à midi par Monsieur le Maire."
Le correspondant F. C.
(recherches aux archives : M. R. Taussac & M. Ebri -
Camp)
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 Le calme revenu,
des remorqueurs marseillais éssayèrent, mais en vain de
le déchouer. Le commandant décida alors de renvoyer son
équipage en Espagne et de rester à bord pour garantir les
droits de propriété. Il engagea une petite équipe
de pêcheurs gruissanais afin d'assurer la sécurité
du bateau.
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Grâce à
la collaboration bienveillante et éfficace du Maire Joseph Camp,
qui facilita de son mieux cette opération, un équipage comprenant
Lucien Taillade, Alexis Lachaume, les frères Joseph et François
Iché, Victor Carrère, Pierre Ambert etc. ... assura la sécurité
jour et nuit, comme en mer. Ces hommes gagnaient 5 Francs par jour - un
pactole à l'époque ! - et leur travail se réduisait
à une surveillance constante, surtout celle des 2 amarres fixées
sur ancres à 400 m au large. Ceux qui n'étaient pas de quart
meublaient leur temps par des parties de cartes et les repas préparés
par Salvador, le cuistot espagnol que le commandant avait gardé à
bord, étaient excellents. |

Les autres, sauveteurs ou matelots, n'ont
pu être identifiés.
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1 - Joseph Camp (Maire de Gruissan)
2 - Antonio Martinez (Capitaine au Torre del
Oro)
3 - François Iché
4 - Lucien Taillade
5 - Joseph Iché
6 - Pierre Ambert
7 - Jean Bouis
8 - Victor Carrère
9 - Monsieur Ambert
10 - Louis Bonnot
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Un soir, alors
que la manille (jeu de carte) battait son plein, Alexis qui était
de quart à la passerelle fut pris d'un bessoin pressant. Il descendit
sur le pont et alors qu'il était en train de recouvrer un réèl
bien être, il fut médusé par une sensation bizarre :
le bateau, immobile depuis plusieurs mois, bougeait ! Il est vrai que la
mer était "grosse". Prenant juste le temps d'ajuster
ses frusques, il déboula dans la salle et s'écria : "Sabetz,
lou bateou boulègo ! " (Vous savez, le bateau bouge !) |
Les autres, la
cigarette aux lèvres et les cartes à la main, le prirent pour
un plaisantin. Sceptiques, ils montèrent quand même sur le
pont et constatèrent que le bateau "faisait mouvement".
Alors commença dans la nuit un travail de titans. Jouant du treuil
sur les amarres ils réussirent, petit à petit, à tirer
le bateau au large. Le Torre del Oro se libéra enfin. La machine
fut mise en marche et le bateau fit son entrée dans le port de La
Nouvelle au petit matin. Là, il fit provision d'eau et de charbon
et regagna aussitôt Marseille pour vérifications. |
L'équipage
resta ainsi une semaine dans la cité phocéenne et le commandant
proposa aux Gruissanais un enrôlement définitif : Aucun de
nos pêcheurs ne resta. L'appel de la Tour
Barberousse (le château de Gruissan) fut plus fort que l'appel
du large. Mais cet épisode de leur vie fut gravé à
tout jamais dans leur mémoire. C'est à Baptiste, fils de Lucien
Taillade, que nous devons cette belle page de l'histoire maritime gruissanaise. |
Cf : G.R.A.S.G.
Gruissan d'Autrefois n° 84 et 86.
F. G, R. Bosc |