PATRIMOINE NATUREL
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Géologie
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La grotte de la crouzade
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Blottie dans une falaise de la Clape, dominant la vallée de
la Goutine, la grotte de la Crouzade est un joyau inestimable de notre
patrimoine. Son importance historique et humaine a passionné les
chercheur qui ont tenté de l'explorer, recueillant en son sein
des vestiges de notre lointain passé. Grotte énigmatique,
berceau de nos ancêtres, elle ne cesse de nous intriguer, de nous
interpeller. Parviendrons nous un jour au bout de son mystère ?
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Claire Courdil
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Qu'évoque
pour vous le mot "grotte"? Pour certains, une grotte ornée
serait en réalité un sanctuaire, une sorte de cathédrale
destinée à inspirer aux fidèles, s'enfonçant
dans le noir à la faible lueur des torches, des émotions particulièrement
dortes, des émotions leur faisant rencontrer un surnaturel dont nous
cherchons désespérément les voies. |
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Si la grotte de
la Crouzades n'a pas révélé de peintures murales, elle
est cependant riche en vestiges archéologiques très intéressants. |
Elle est creusée
dans le flanc d'une petite falaise de calcaire aptien, au-dessus de la vallée
de la Goutine, dans la partie Sud du massif de la Clape. Dotée de
deux belles ouvertures, dont l'inférieure seule est accéssible,
elle se compose essentiellement d'une haute galerie de 75 m environ de longueur.
Sa voûtes s'abaisse progressivement vers le fond. |
Historique
des fifférentes périodes de fouilles : |
En 1866, un medecin
naturaliste de Port Vendres monsieur Pinchinat, et un pharmacien de Gruissan,
ancien maire de la commune, monsieur Portes, sont à la recherche
d'une plante, la Lavatera arborescens. Pénétrant dans
la grotte, ils découvrent des débris de silex sur le sol.
Monsieur Portes écrira dans le bulletin des années 1926-1927
de la Commission Archéologique de Narbonne : "Le sol est recouvert
d'une terre noirâtre provenant de la décomposition des mousses
et plantes parasites qui tombent des voûtes en se désagrégeant.
Les habitants primitifs de cette caverne devaient être dans les meilleurs
conditions d'hygiène vu l'absence d'humidité et l'éclairage
de ce réduit ; ils pouvaient même se mettre facilement à
l'abri des attaques extérieures, soit des animaux, soit des ennemis.
On constate des trous obtenus par percussion pour l'établissement
de barrages qui les isolaient de l'extérieur et leur permettaient
de se rendre compte, par l'ouverture de la fen^tre, de ce qui se passait
dans la vallée." |
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Théodore
Rousseau, contacté dans le cadre d'un reboisement de parcelles communales,
est averti par le maire de Gruissan de l'existance de la grotte. Il décide
d'y pratiquer des fouilles. Les premiers résultats font apparaître
une succession de couches, couvrant une large période, attestant
que ce lieu fut alternativement habité par l'homme et les animaux.
Rousseau découvre une assez grande quantité d'objet préhistoriques
: bouts de flèches en silex, couteaux, racloirs, quelques poinçons
en os, des os de boeufs primitifs, ours, hyènes, animaux féroces
et rapaces. En 1874, il publie dans le bulletin de la Société
d'histoire Naturelle de Toulouse, une description des dépôts
archéologiques de la grotte. Remarquons qu'il omet de citer monsieur
Pinchinat, le véritable auteur de la découverte. Il met également
au jour deux galets peints, dont il ne fait pas mention. Ce n'est que 18
ans plus tard que ces objets furent identifiés au Musée de
Carcasonne par Ed. Harlé. L'un d'eux est reproduit dans l'ouvrage
de Ch. Zervos "L'art de l'époque de renne en France". La
Commision Archéologique de Narbonne, suite au rapport de Rousseau,
demande à son tour l'autorisation de pratiquer des fouilles sous
la direction de monsieur Berthomieu, son Secrétaire adjoint. Elle
met au jour des objets qui forment une vitrine au Musée de Narbonne
; mais faute de subventions les travaux reste superficiels. La véritable
recherche commencée par Rousseau se poursuivra avec deux archéologues
gruissanais, Théophile et Philippe Héléna. |
En 1906, Théophile
Héléna sonde la grotte avant d'y entreprendre des fouilles
de plus grande ampleur de 1912 à 1918. Cet instituteur, conservateur
du Musée Archéologique de Narbonne dont il fut l'un des pricipaux
donateurs, noua des liens avec la plupart des préhistoriens et quaternaristes
français de son temps. De 1930 à 1932, assisté de Philippe
Héléna, il reprend les fouilles de la Crouzades. En 1928,
la grotte est classée monument historique. En 1926, Ph. Héléna
publie dans le bulletin de la Commission Archéologique de Narbonne,
une étude fort documentée et précise "La stratigraphie
de la grotte de la Crouzade" qui relate les travaux de Th. et Ph. Héléna,
dont les collections forment aujourd'hui une grande part du Musée
Archéologique de Narbonne. Elle décrit la séquence
stratigraphique de 4 mètres d'épaisseur et son contenu de
12 différentes couches dont voici l'éssentiel : |
Les 3 niveaux
moustériens : |
A l'époque
du Moustérien, (- 100 000 à - 40 000 avant J. C.) au paléolitique
moyen, où apparaît la pratique de l'inhumation, vit depuis
125 000 ans l'homme de Néanderthal. Les hommes sont des chasseurs
cueilleurs. Revêtus de peaux d'animaux, ils se réfugient dans
les cavernes où ils trouvent un abri sûr contre le froid. Leur
outillage dénote une réelle perfection de la taille du silex
: grattoirs, pointes triangulaires, petits bifaces ou coup de poing. Dans
la grotte de la Crouzade on a trouvé des foyers moustériens
formés de pierres plates avec le charbon, les cendres, et, à
côtés, les déchets des repas, constitués des
animaux que l'homme pouvait alors chasser : mammouths, rhinocérocs,
cerfs, ours des cavernes, bisons. |
Le niveau
aurignacien : |
Le niveau aurignacien,
(- 40 000 à - 30 000) se situe dans la première moitié
du Paléolithique supérieur. L'homme de Néanderthal
disparaît et apparaît l'homo sapiens.
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C'est dans la crouzade,
que l'Aurignacien nous fournit les données les plus anciennes sur
le Paléolithique supérieur dans le bassin de l'Aude. Une couche
sableuse jaunâtre, contient des restes de foyers, d'ours, lion, hyène,
grand boeuf, cheval, de nombreux silex, quartzites, une plaquette de pierre
avec une gravure de poissons. Après une couche de sédiments
stériles, apparaît une strate avec deux minces foyers et des
ossements de renne, cerf élaphe, cheval, boeuf, et beaucoup de pierres
travaillées : jaspes, agates, calcédoines, cristal de roche.
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La couche F, fouillée
par Th. et Ph Héléna, comporte une majorité de grattoirs
généralement sur lame retouchée, quelques carénés,
des lames à retouche écailleuse, des racloirs, une lame à
étranglement et des burins. L'un d'eux, busqué, atypique car
sans encoche d'arrêt, pourrait indiquer un stade plus évolué.
L'industrie de l'os, rare, n'est pas caractéristique. |
L'art mobilier
est présent dans ce niveau. Le Musée de Narbonne renferme
notamment un fragment de plaquette de grès sur laquel est gravée,
semble-t-il, une patte de grand quadrupède, et un bâton, cassé,
en bois de renne, orné de très nombreuses et fines incisions. |
Deux couches, qui
séparent les niveaux Aurignacien et Gravattien, sont stériles
est constituées d'un cailloutis anguleux et d'un limon jaune. |
Le niveau
gravettien : |
Le Gravettien,
(- 25 000 ans) se caractérise par une industrie lithique et osseuse. |
La petite série
conservée au Musée de Narbonne, découverte dans un
mince niveau cendreux, comprend quelques pointe de la Gravette, d'assez
nombreuses lamelles à dos, une petite pointe à cran atypique,
de rares grattoirs, un poinçon en os et des dents animales percées.
Les chasseurs gravettiens de la Crouzade dont le gibier favorie semble avoir
été le renne, ont sous la forme de dents d'animanles percées,
développé l'art de la parure attesté dès l'Aurignacien. |
Un limon jaune
et stérile sépare le Gravattien du Magdalénien supérieur. |
Le solutréen
de - 20 000 à - 15 000 ? |
La pointe solutréenne
du type de Montaut récoltée par E. Genson dans les déblais
de la grotte de la Crouzade, et admise par H. Begouën, a disparu. Ce
fait est très regréttable, car si son attribution est exacte,
elle constitue le seul vestige solutréen jamais signalé dans
le célèbre gisement gruissanais. |
Le niveau magdalénien
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Au Magdalénien,
(-15 000 à - 10 000 ), fin du Paléolithique supérieur,
les techniques de la taille de la pierre atteignent leur plus grande perfection.
Les capacités intellectuelles des magdaléniens n'étaient
pas inférieures aux nôtres, mais différentes, s'éxerçant
dans des domaines et des direction éloignées de ceux de nos
contemporains. A la Crouzade, Ph. Héléna signale des harpons
à un rang de barbelures à la base du niveau D, alors que des
spécimens à deux rangées de barbelures accupaient le
sommet de ce même niveau. Un spécimen de chacun des types est
conservé au Musée de Narbonne. |
Dans un niveau
très sombre, on a trouvé des débris de renne, de cheval,
des harpons, des baguettes décorées de dessins géométriques
en creux. |
Le mésolithique
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Après le
Magdalénien, le Mésolitique est une période de transition
(-10 000 à - 8 000 ). Le climat se réchauffe et entraîne
un changement dans la végétation avec un développement
très rapide de la forêt. C'est la fin de la chasse aux troupeaux
de mammouths. Le nombre de chevaux diminue. Se tournant vers un autre gibier,
l'homme adopte de nouvelles méthodes de chasse et un nouvel armement.
L'étude des pollens découverts dans les différentes
couches du sol de la grotte, permet de donner une image assez fidèle
de ce qu'était alors la flore et de ses modifications en fonction
des variations climatiques. |
L'azilien
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La phase de réchauffement
marque le début de la sédentarisation agricole. Elle est caractérisée
par un outillage microlithique à base d'éclats de forme géométrique
et de curieux galets aziliens portant des signes peints en rouge. Le niveau
azilien comprend une assise puissante, composée de cendres et de
terres brûlée. On y a découvert des restes de cheval,
cerf élaphe, sanglier, ours brun, tortue, de nombreux silex, des
os polis perforés, des galets coloriés. Par la suite, ce même
gisement livra à Th. et Ph. Héléna ainsi qu'à
E. Genson et J.S. Albaille qui fouillèrent la grotte en 1913, d'autres
pièces semblables dont quelques unes sont conservées au Musée
de Narbonne. |
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Les galets recueillis
par Th. Héléna à la base du niveau C de la Crouzade
étaient associés à un outillage lithique pauvre et
rare où l'on remarque quelques pointes aziliennes. C'est au sommet
de ce même niveau que furent découverts les microlithes conservés
au Musée de Narbonne et au Muséum d'Histoire Naturelle de
Toulouse. |
Cette industrie,
composée essentiellement de lamelles à dos, de pointes de
Sauveterre, d'armatures triangulaires, de segment de cercle, de pointes
diverses et de perçoirs, a été justement qualifiée
de sauveterrienne par M. Escalon de Fonton en 1966. |
Persuadés
que la grotte nous réserve encore bien des surprises, nous espérons
en une possible participation de l'équipe de Monsieur Henry de Lumley
pour poursuivre l'exploitation de la grotte.
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Dessins trouvé dans la grotte
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Cf : Gruissan d'autrefois n° 249,
F. G
Souyrces : "Aperçu sur les civilisations du paléolitique
supérieur dans le bassin de l'Aude et en Roussillon" de Dominique
SACCHI |