Sommaire / Patrimoine industriel / Maritime / Navire / Voyage sur la côte occidentale f'Afrique

PATRIMOINE INDUSTRIEL


Maritime


Voyage sur la côte occidentale f'Afrique
(Années de l'après-guerre : 1945 - 1950)

Nous avons vu que le Liberty-ship américain "Oliver Westover", devenu français et baptisé "Bastia", avait accosté à Marseille en provenance de la baie de Cheasapeake.


Le Oliver Westover

A Marseille, le "Bastia" charge des marchandises diverses pour les ports de la C.A.O. (Côte Occidentale d'Afrique) jusqu'à Pointe-Noire, port du Congo qui se trouve dans l'hémisphère Sud, juste au-dessous de l'équateur.


Le Bastia

Il doit ramener à Marseille des grumes (c'est-à-dire des billes de bois, troncs d'arbres des différentes essences des forêts afiricaines : okoumé, acajou, etc ..., pesant chacun, souvent, plusieurs tonnes), du cacao et du café.

Bien entendu, les sacs de cacao et de café seront placés dans quelques unes des 5 cales du navire et en entrepont, les grumes dans les autres cales et sur le pont.

Le chargement est l'affaire du second officier du bord, que l'on appelle, assez improprement d'ailleurs, capitaine.

Nous allons escaler dans de nombreux ports et, dans certains, il faudra, après avoir déchargé les marchandises diverses, embarquer des sacs de cacao et / ou de café.

Compte tenu de ces contraintes dont il a, en gros, connaissance (par les prévisions de chargement pour que le vide créé par le débarquement dans un port d'un volume donné, permette le chargement du cacao / café, sans que cela gêne trop les opérations ultérieures dans les ports suivants.

Le capitaine doit donc, également, tenir compte des différentes densités des marchandises (divers, cacao, café, grumes, ...), car les prévisions sont toujours données en poids.

Les cales ne sont pas extensibles ...

Ce sont des sortes de grandes boites de fer avec une ouverture supérieure : le panneau de cale; et chaque destination doit y être rangée pour pouvoir facilement en sortir, tenir à la mer et permettre les divers chargements intermédiaires prévus.

L'établissement du plan de chargement est, parfois sinon souvent, un vrai casse-tête pour le capitaine.

Voilà donc notre "bastia" chargé jusqu'aux panneaux de cales de caisses et ballots divers à destination de la C.A.O.

Pensons qu'en ces années de l'après-guerre, la demande, tant à l'exportation qu'à l'importation, était forte.

Il y avait peu de port à quais au sud de Dakar : On comptait Conakry, Lagos, Douala et Pointe-Noire, et encore, en dehors du grand port de Lagos au Nigéria, les autres ne possédaient que 2 ou 3 places à quai et n'évitaient pas l'attente ...

Cette terrible attente, dont nous parlerons plus loin.

Ailleurs, à Abidjan, Lome, Cotonou, Port-Gentil et Libreville, il n'y avait pas de quai et le navire devait rester à l'ancre, soit en estuaire comme à Port-Gentil et Libreville au Gabon, soit en pleine mer, à proximité d'un wharf (construction de bois et de fer, sur pilotis, qui avance de quelques centaines de mètres dans la mer, et qui porte les grues à son extrémité. Une voie ferrée y existe pour l'apport et l'évacuation des marchandises) équipé de grues.


Wharf

Ainsi, de Port-Bouet, le Port d'Abidjan en Côte d'Ivoire, de Lome et de Cotonou.

Des "Boats", sortes de grandes barques tirées par de petits remorqueurs, font la navette entre navire et wharf.

Inutile de dire que les navires se disputaient les "boats" et aucun n'était satisfait du nombre alloué (par le chef des wharf).

Le wharf ne "travaillait" que 2 ou 3 navires à la fois et "plus de boats" signifiait du "temps gagné".

Commençons notre voyage.

Passons rapidement sur les escales de Casablanca et de Dakar où nous ne faisons que débarquer quelques marchandises diverses.

La traversée Casablanca - Dakar est la plus longue du voyage.

A l'aller, les vents alizés nous poussent vers le Sud.

Le ciel est habituellement clair et la température agréable.

Pour nous, l'équipage, le vrai voyage commence au sud de Dakar et plus précisément à Tabou petit village de la Côte d'Ivoire Occidentale où nous embarquons nos Krumen (Homme du pays de Kru), qui composent notre équipe de dockers à bord.

Il circulait alors une histoire macabre à Tabou : on venait d'arrêter cinq ou six Kru, dénoncés par l'un d'entr'eux pour avoir mangé un africain de la tribu voisine.

Ce brave homme était fort mécontent de n'avoir eu, pour sa part du festin, que les mains ... piètres morceaux parait-il.

Il s'est vengé en dénonçant ses coréligionaires.

L'histoire est-elle vraie?

Je ne l'ai jamais su.

Mais revenons à notre équipe de Krumen.

Chaque navire avait alors son équipe dirigée par un chef, le "Cacatois".

Le "Cacatois" est le maître incontesté : c'est lui qui embauche, c'est lui qui sanctionne, c'est lui qui dirige le travail à bord, après avoir pris les ordres auprès du capitaine.

C'est lui, car il connait, qui nomme les chefs d'équipes de cale; les "mouillés" : les spécialistes qui, debout sur les billes de bois flottantes (parfois sur la houle) lorsque le train de billes est contre la coque, les désarriment du train et les ceinturent d'un fil d'acier pour les embarquer; les chefs de panneau qui dirigent par gestes les treuillistes afin que la "palanquée" ou la bille de bois suspendue au câble du treuil soit correctement mise en cale où travaillent les manoeuvres.

La responsabilité du chef panneau est grande, car toute fausse manoeuvre du treuil soutenant une bille de plusieurs tonnes et de plusieurs mètres de long, peut avoir pour conséquence la mort de Krumen et des dégâts matériels importants.

Et ceci, alors que, parfois, le navire, dans la houle, roule bord sur bord.

Nous voici donc sur rade de Tabou, au mouillage à environ 2 km de la côte.

L'équipe de Krumen arrive dans 2 ou 3 grandes pirogues actionnées à la pagaie.

Il fallait voir ces pirogues passer la "barre" (barre : série de deux ou trois grandes lames déferlantes produites par la houle du large atlantique rencontrant la ligne de moindre fond près de la côtes), et les Kru crier à pleine poitrine "TABOU ... ou", en donnant le coup de pagaie sur le "ou".

L'étrave de la pirogue se soulevait vers le ciel en heurtant la première déferlante, puis retombait dans le creux ... on ne la voyait plus ... puis elle reparaissait, cabrée, plongeante, dans un jaillissement d'écume blanche.


Carte de


l'Afrique

 

Hémisphère Nord


Voilà donc l'équipe Krumen embarquée.

Les Kru logent dans l'entrepont de la cale 1, tout à l'avant du "Bastia", muni de couchettes métalliques superposées.

Ils sont une soixantaine.

Leur nourriture ne pose pas de problème : riz, viande ...

La viande pas trop fraiche, car ils n'aiment pas.

Ils ont leur cuisinier.

Comme boisson de l'eau ..., sauf ce qu'ils peuvent "tirer" de l'équipage, car ils aiment bien le vin, le pastis et le rhum.

Quand Un Krumen est blessé ou malade, c'est un lieutenant du bord, dépositaire de la pharmacie, qui s'en occupe.

Pour ce voyage du "Bastia", c'est moi qui office ...

J'ai réussi à n'en pas tuer ..., quoique certain jour, en posant des ventouses, le dos d'un de mes "patients" fut quelque peu brûlé ... il courut en criant tout au long du pont ... ce qui dut lui faire le plus grand bien, car je ne le revis plus à la visite.

Quand un Krumen commet une faute lourde (vol, faute professionnelle ...), le capitaine appelle le cacatois qui sanctionne à coups de poing ou de canne (jamais sur la tête, trop dure parait-il).

Il faut dire que les cas sont rares.

Et, ainsi, va notre petite communauté, sans heurt important, car ces africains sont gentils et travailleurs.

Ils ont le coeur gai et l'âme candide.

Il y a une douzaine de jours que nous avons quitté Marseille.

Le vrai voyage sur la C.O.A. commence ici, à Tabou.

Nous en parlerons, si cela vous intéresse, dans un prochain chapitre.

Louis Labatut.

Louis Labatut est un retraité de la marine de commerce et sa brillante carrière d'officier mérite d'être citée :

Elève officier de 1939 à 1942.
 


Lieutenant sur pétroliers de 1943 à 1945 puis sur cargo le "Bastia" de 1946 à 1948.

Capitaine sur cargos et bananiers de 1949 à 1953.

Capitaine sur paquebots de 1954 à 1956.

Commandant sur cargos et bananiers de 1957 à 1958.

Commandant sur paquebots de 1959 à 1975 : paquebots Mangin, Mermoz, Renaissance, Ancerville.



Mangin


Mermoz


Plan du Mermoz


Renaissance


Ancerville

Cf : G.R.A.S.G. Gruissan d'Autrefois n° 136
F. G et L. Labatut