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L'Ile Sainte Lucie et les Gruissanais

A l'origine, la plaine de Narbonne est séparée de la mer par une série de massifs qui s'égrènent le long de la côte: les collines de la Clape, de Saint Martin, de Sainte Lucie.

Ces massifs émergent aujourd'hui, au milieu d'une plaine en grande partie alluvionnée par le fleuve Atax (Aude).

Ces îles soudées entre elles forment notre littoral, " liseré de sable qui déroule son immense courbe enfermant derrière lui de vastes étangs " (M. Durliat).

L'île de Sainte Lucie, amarrée entre l'étang de Bages - Sigean et l'Ayrolle donne à rêver au petit matin lorsque dorment avec elle, cabanes, oiseaux et barques.

Appelée île de Chauchène ou Cauquène jusqu'au XVIIième siècle, elle appartenait à l'Archevêché de Narbonne car en l'an 1200, l'archevêque Bérenger II l'avait achetée à Udaguer, seigneur de Sigean..

Sainte Lucie fut habitée depuis les plus hautes époques.

Des vestiges antiques, digues, quais et bornes d'amarrage ont été mis au jour.

Le port de Cauquène, à l'ouest de l'île offrit pendant de nombreux siècle un abri sûr aux navires lorsque les vents du large étaient menaçants.

C'est de là, qu'à l'époque romaine, des barques légères rejoignaient Narbonne, chargées des marchandises débarquées de bateaux dont le tonnage trop important interdisait l'accès de la ville.
Par la suite le trafic se fit par la Robine depuis Port La Nouvelle.

De magnifiques carrières de pierre blanches et dures furent exploitées sur cette île.

Elles ont servi à la construction de la tour de Broa,(château de Gruissan), à la tour Gilles Aycelin (Hôtel de Ville de Narbonne).

La tour de défense et de guet de la Nouvelle, aujourd'hui détruite fut élevée pendant les guerres de la Ligue avec ces pierres.

Elles étaient transportées par des " chapines ",bateaux à fond plat ou de simples barques de pêcheurs de Gruissan.

C'est sur cette bande de terre que fut creusé au XVIH'eme siècle le canal de la Robine et, au XIXieme , fut établie la ligne de chemin de fer Narbonne-Port-Bou.

A la Révolution, en novembre 1789, l'Assemblée Constituante déclare les biens du clergé, biens nationaux pouvant être vendus.

Ainsi l'île devient la propriété du Sieur Aurran.

Ce dernier n'accepte pas la présence des pêcheurs sur les bords de son île.

En décembre 1791, pour se conformer à la loi relative à la contribution foncière, l'acquéreur déclare que non seulement "toutes les terres que jouissait l'archevêque de Narbonne, mais encore toutes celles qui s'étendent depuis les bords de la dite isle, jusque à la mer et au bord des Etangs qui l'avoisinent " lui appartiennent.

Aussitôt le 7 décembre 1791, le Conseil Municipal et Général de la Commune convoqué par Melchior Rival, maire, et Jean Pierre Gimié, officier municipal occupant les fonctions de procureur de la Commune se réunit et déclare qu'une telle vente au préjudice des citoyens de la commune n'a pu avoir été effectuée par MM les Administrateurs.

Si cela était, il en résulterait:

-" que tous ceux qui pratiquaient la pesche, surtout celle de la traîne, ne pourraient pas faire ce procédé ni dans la mer, ni dans les étangs qui en sont très près sans encourir les poursuites contre eux s'ils tiraient à terre leurs filets;

-" que ces pescheurs ne pourraient non plus faire des cabanes au bord des Etangs pour se réfugier pendant des temps inconstants ou de pluie;

-" que le dit acquéreur les empêcherait encore de couper du bois avec les mains pour faire cuire leur manger;

-" qu 'il porterait peut-être des prétentions un peu plus loin en interceptant les voyes publiques qui sont dans la dite isle et aux environs et défendrait à qui que ce fut de prendre l'eau aux sources d'eau douce qui sont dans la dite isle;

-" malgré que tout cela soit permis depuis un temps immémorial enfin que pour obvier aux inconvénients qui naîtraient nécessairement des prétentions de l'acquéreur il convient de s'adresser à qui de droit. "

Après cet exposé, le procureur de la commune recueille les voix des conseillers et décide que MM les Administrateurs du Département et du District de Narbonne ordonneront à l'acquéreur de l'île Sainte Lucie de ne comprendre dans sa déclaration "que la garrigue entière de l'isle et toutes les terres labourables et bâtiments qui s'y trouvent enclos, desquels objets il peut jouir ainsi et de même que si devant archevêque en jouissait."

On comprend l'inquiétude des pêcheurs du village, peur provoquée par les désirs de l'acquéreur.

Est-ce par vengeance?

Peu de jours avant Noël (1791) la " volalière " de l'île fut détruite et " une partie des poules et trois oies et une dinde " avaient disparues.

Fort d'une vente qui ne comportait aucune restriction, le nouveau propriétaire interdit la continuation des anciens usages et cela malgré les efforts de Gruissan pour garder ses droits.

En 1809, la Direction des Domaines afferma les lais et relais dépendants de la commune de Gruissan puis les mit en vente en 1820.

La Municipalité ne voulant pas les acheter car elle avait prétendu en être propriétaire depuis toujours.

Une solution fut trouvée: le 10 juin quatre Gruissanais les achetèrent pour 5000F, afin de les remettre à la communauté.

L'acte fut signé avec solennité en présence des quatre acquéreurs, de soixante et onze de leurs concitoyens, du maire Jean-Jacques Camp et du curé Passenaud.

"Cet achat en société de biens impartageables, pour une jouissance en commun avec possibilité d'une cession sans bénéfice à la commune, était une consécration nouvelle des principes de solidarité qui avaient le plus souvent prévalu à Gruissan ". (Julien Iché).

Désormais les pêcheurs pourront comme dans le passé continuer à fréquenter les abords de cette île qui font leur bonheur.


Hélas, en 1844, le hameau de La Nouvelle est érigé en commune, et l'île de Sainte Lucie est enlevée à Gruissan pour entrer dans le domaine de la cité voisine.


De 1922 à 1983 l'île devient une réserve de chasse privée.

En 1983, le Conservatoire du Littoral rachète l'île qui devient un site naturel protégé où vivent de nombreuses espèces botaniques et de nombreux oiseaux.

" L'île Sainte Lucie laisse aux Gruissanais comme un deuil dans leur mémoire. " (Marie Rose Taussac).

cf : Gruissan d'Autrefois n° 272 - F.G.
Archives Départementales, Etude historique sur Gruissan par Julien Yché, Le Château de Gruissan par Marie Rose Taussac.