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PATRIMOINE ETHNOGRAPHIQUE

Culture populaire

DE LA SERPETTE AU SÉCATEUR
 
 

Au lendemain des guerres napoléoniennes, encourager la production agricole devient l'objectif du pouvoir central.

Dans ce but, il sollicite l'engagement des préfets pour la constitution de Sociétés d'Agriculture.

Celle de Carcassonne date du 10 janvier 1820.

Suite à ces créations, une loi du 16 juin 1879 ordonne la fondation d'une chaire d'agriculture dans chaque département.

Dans l'Aude, des professeurs d'agriculture interviennent dans les écoles primaires et donnent des conférences gratuites dans les communes du département.

Leur principale motivation est de susciter les conditions nécessaires à l'adoption des progrès techniques.

Car déjà, les découvertes de la science en chimie et biologie trouvent des applications en agriculture.

Le comice agricole de Narbonne encourage la culture de la vigne et privilégie les améliorations liées à la mécanisation, avec l'organisation de concours de labours des vignes.

Des primes sont régulièrement prévues pour récompenser ceux qui sont prompts à adopter les outils modernes.

Après 1881, date de la création du Ministère de l'Agriculture, apparaissent les organisations professionnelles agricoles (syndicats, coopératives, assurances sociales, crédits) qui vont jouer un rôle majeur dans l'émergence d'une agriculture moderne.

De la difficulté d'adopter les progrès techniques :

Les ouvriers sont les plus difficiles à convaincre du bien-fondé des nouvelles techniques.

Leur méfiance est grande. Ils craignent que les machines ne leur volent leur travail, le seul qu'ils connaissent et qui assure leur subsistance et celle de leur famille.

Cette opposition à tout changement s'illustre pour nous Audois de manière anecdotique, dans la lutte que se livreront les partisans de la serpette et ceux du sécateur.

La taille de la vigne :

La taille de la vigne est effectuée l'hiver sur du bois lignifié, donc dur à couper, surtout pour le cépage Carignan dominant à cette époque dans le vignoble gruissanais et dans tout le Narbonnais.

C'est une opération importante qui nécessite du temps, du savoir-faire et des ouvriers expérimentés ; d'elle découlent la quantité et la qualité des récoltes futures.

Dans le département, jusqu'en 1840, la taille s'effectue avec une serpette.

De l'utilité de la serpette :

La serpette comporte une lame courbe d'un côté, et droite de l'autre formant une petite hache.

La partie courbe sert à couper les sarments, et la petite hache les bras morts.

Elle porte le nom occitan de "poda", du verbe "podar" qui signifie " tailler "," Espodassar " est " pré tailler "

Et voilà que l'on veut convaincre nos vignerons d'abandonner l'usage de la serpette pour celui du sécateur, ou ciseau à tailler la vigne.

Leur résistance est opiniâtre.

Comment la vaincre ?

Par l'appât du gain ?

Le goût de la compétition ?

La Société d'Agriculture décide d'organiser des concours dotés de prix, pour inciter les taillandiers à fabriquer de bons sécateurs.

Parallèlement elle planifie des rencontres au cours desquelles vont s'affronter les tailleurs à la serpette et les tailleurs au ciseau.

La présentation des ciseaux :

Une commission présidée par le préfet se réunit le 16 mai 1835 et examine les outils présentés par les différents candidats.

Un prix de 150 francs est attribué aux vainqueurs qui sont monsieur Georges Espirac de Narbonne et monsieur André Maraval de Sallèles d'Aude, tous deux premiers ex asquo.

Le troisième outil retenu est l'œuvre des frères Griffier connus comme fabricants de charrues à Villemoustaussou.

Un nouveau concours est organisé en 1837.

Une prime de 100 francs sera accordée à nouveau à André Maraval et une de 50 francs à Gérard Gaspard de Narbonne.

Un combat singulier :

Le journal de la Société d'Agriculture de l'Aude relate la lutte sans merci qui opposa les serpettes aux ciseaux :

Il fut décidé de mettre en compétition le meilleur ouvrier de chacun des deux outils.

A l'issue d'un combat acharné, le jury rendit justice au talent des deux tailleurs ; mais il décida à l'unanimité que le sécateur l'avait emporté sur la serpette (bien que le vigneron à la serpette ait terminé en avance d'une souche !) et qu'il devait être préféré pour la taille de la vigne, suite à un travail plus soigné !

Et le progrès dans ce domaine, comme dans d'autres, parviendra à vaincre les réticences les plus vives, car seront recherchées l'augmentation des rendements et la réduction des coûts.

Et aujourd'hui ?


Le travail de l'homme est de plus en plus remplacé par les machines.

Les sarments sont rarement ramassés, et la plupart du temps sont broyés ou brûlés sur place.

Les machines à vendanger, de jour comme de nuit, se substituent aux vendangeurs.

Les engrais chimiques remplacent le fumier des étables.

L'irrigation des vignes peut suppléer à la pluie. Etc. Etc.
Ces changements constituent le prix à payer pour se mesurer dans une compétition dictée par l'économie libérale.

Qu'en est-il de l'avenir de notre Terre ?

L'être humain provoque des bouleversements biologiques.

Les outils nous asservissent.

La productivité à tout prix conduit à l'aliénation humaine.

Les paysans disparaissent, on parle maintenant d'exploitants agricoles.

N'est-il pas temps de mettre l'humain et la nature au centre de nos préoccupations ?

Cf Gruissan d'Autrefois n°299 - Claire Courdil - Sources : " Les progrès techniques dans l'agriculture audoise au 19e siècle " par Michel CAU
F. G. GRASG