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PATRIMOINE CULTUREL

PERSONNAGES CELEBRES

Jean Bras

1920 - 2005


Fils de Francine Alléon et de Joseph Bras, il fut élevé avec ses frères, par sa mère et ses grands parents, après le décés de son père en 1929.

De mes aïeuls disparus, il fait partie de ceux qui ont le plus marqué ma mémoire de mon coeur.

De son enfance, il me racontait parfois ses activités scolaires et extrascolaires.

Quand je lui dis un jour que je donnais une participation financière pour les études surveillées de mes filles, il me répondit illico avec humour qu'à son époque c'était gratuit pour lui, car il était fréquemment "collé" après les heures de classe !

Puis ses yeux s'illuminaient et d'un sourire au coin des lèvres, il m'expliquait qu'en quittant sa maison il connaissait ses leçon par coeur.

Mais sur le chemin de l'école, les rues étant plus tranquilles que de nos jours, il s'amusait tant, qu'arrivé en classe il en avait oublié théorèmes et récitations !

C'est pourquoi, me confiait-il, les tabliers lui servaient surtout l'été pour aller se baigner : avec une épingle à nourrisse, il attachait entre les jambes le tablier d'écolier, et "Aqui lo malhot".

C'est ainsi qu'à 14 ans il mit de côté cartable et plumier, et c'est galoches de bois aux pieds qu'il alla gagner son premier salaire (8,50 francs).

Son grand-père, Augusta Journes, lui avait ressemelé les galoches avec du caoutchouc pour éviter le bruit et l'usure prématurée du bois.

Par contre, à la même époque, c'est en espadrilles et au poste de talonneur qu'il fait son premier galop sur le terrain de rugby de la "Corderie".

Il suivait ainsi les traces de son père qui fit partie de la première équipe de l'Aviron Gruissanais.

Certes, il avait fait sa communion, mais s'il fréquentait le patronage ce n'était pas par conviction religieuse.

Il s'y rendait pour pratiquer la gymnastique, car il excellait dans les agrès tels que trapèze et anneaux.

En 1936, année du front populaire, il a 16 ans et travaille pour Mr Joseph Camp sur le vignoble de "Saint Obre" où tous les soirs défilaient les communistes Gruissanais.


Joseph Camp

Jeanot va y puiser la force et ses convictions.

Faut-il rappeler qu'il est né en 1920, année de la création du PCF.

Autant dire qu'il y est tombé dedans dès sa naissance !

En 36, il fait également la connaissance de Simone Jordy.

Il l'épousera en 1938 après avoir obtenu le consentement de sa mère Francine qui toutefois lui imposa de passer devant monsieur le curé.

Le lendemain, ils firent leur voyage de noce en charette conduite par Lucien Carel, jusqu'à Capoulade.

De maçon chez M. Garrigues Pierre, Jeanot entrera ensuite aux salins de Gruissan.

Au début de la guerre, alors que son frère Albert est fait prisonnier en Pologne, Jeanot est envoyé aux chantiers de jeunesse.

A chaque permission, il redescend à Gruissan auprès de son épouse.

En 1940, c'est en présence du docteur Cazals assisté de Marie Jeanne des Patanos que naît Louisette, sa fille aînée.

A 20 ans, Jeanot devient papa.

Soutien de famille, il reste quelques temps au village, mais contre toute attente, en 1942 il est contraint de participer au STO (service du travail obligatoire).

Il est envoyé dans une usine en Autriche en même temps que certains de ses collègues sauniers.

L'année d'après naîtra sa seconde fille Josette.

En 44, sa famille est réfugiée à Saint Sulpice.

En 1946, sa troisième fille Roseline ne survivra que quelques mois, victime de la coqueluche.

Après guerre, en 1948 naît son fils Jean-Jacques.

Jeanot reprend ses activités professionnelles, syndicales et politiques.

A vélo, il sillonne les rues du village pour vendre le journal "l'Humanité" aussi bien à ses camarades "coco" qu'à ses amis socialistes.

Chez lui, était exposée la photo de Maurice Thorez que ma grand-mère s'empressait de cacher dès qu'on frapper à sa porte !

En 1953, Jeanot joue du tambour dans l'harmonie Gruissanaise, manage une équipe de jeunes rugbymen, et devient conseiller municipal après la réélection de Félicien Batut.


Félicien Batut

Il siège dans les commissions de la sécurité sociale, de la plage et ... de l'enseignement !

En octobre de la même année il est élu Maire Adjoint sous le mandat de son cousin Vincent Ambert.


Vincent Ambert

A la fin de son mandat, en 1958 naît Roseline la cadette de la famille.

Ses enfants se souviennent qu'il n'avait pas bessoin de hausser la voix ou de lever la main pour se faire respecter.

Un simple regard suffisait pour montrer son mécontentement.

Il leur fera partager ses loisirs, les fera suivre à la rague, à la plage, initiera ses filles à la valse ... jusqu'à ce que chacun vole de ses propres ailes.

C'est en 1959 que Louisette, sa fille aînée, va se marier avec Yvan Milhé.

De cette union va naître le premier des petits enfants que je ne vous le présente pas !

Je fus témoin de son quotidien et partageai quelques moments de sa vie.

Je passais en sa compagnie de nombreux week-ends et quelques vacances scolaires.

Il m'arrivait d'attendre son retour des salains.

Lorsque la sirène annonçait la fin de la matinée de travail, je guettais son arrivée depuis "le banc de coural" où il aimait se retrouver avec ses collègues du quartier.

Là, ils refaisaient le monde, parlaient de chasse, rugby, politique ...

Fier de "ses exploits" rubystiques, il nous en parlaient en roulant des mécaniques! alors qu'il n'était pas du tout égocentrique.

Pour nous amuser et nous épater, il appyait son coude sur la table, posait ses doigts sur le frond et faisait gofler et dégonfler son biceps, en faisant mine de ne pas bouger ses doigts.

A la chasse, je ne l'accompagnais pas.

Il s'y rendait à mobylette sur laquelle il avait installé une planche pour asseoir entre ses jambes, sa chienne "Marquise".

C'était au temps où il y avait encore des lapins de garenne.

Il n'y avait pas de bonne partie de chasse sans un bon casse croûte en guise de petit déjeuner, poussé par quelques gorgées de vin rouge.

Pendant un certain temps, comme bon nombre de Gruissanais, il fabriquait lui même ses cartouches de façon artisanale.

Ses enfants, qui jadis l'accompagnaient à la rague, s'en souviennent avec nostalgie.

Il avait d'autres passe temps.

Il gravait souvent des épitaphes sur les tombes, plaques ou livres mortuaires, compétences qu'il avait appris au contact de son oncle Faldoni.


Faldoni Alléon

Il rendait ce service pour une modique somme qui lui permettait de se payer le permis de chasse.

A la Toussaint, de nombreux Gruissanais le sollicitaient pour repeindre les lettres des plaques mortuaires (20 centimes de francs par lettre, tarif qu'il ne modifia jamais !).

Les années où il y avait peu de décès, il en parlait avec embarras, ce qui amusait car il devait puiser dans les économies du foyer pour payer une partie du permis de chasse !

Il était également bon bricoleur sans être un finisseur accompli.

Champion de la débrouillardise, il avait toujours une connaissance pour resquiller quelques matériaux ou brouettes de sables.

Il redressait parfois de vieux clous pour les réutiliser.

Son établi regorgeait de vieux outils.

Longtemps, il préféra utiliser une chignole manuelle plutôt qu'une perceuse électrique.

Après l'obtention de 3 médailles du travail à la compagnie des salins, il fait valoir ses droits à la retraite au début des années 80.

Il ne restera pas pour autant inactif.

Il continuera à chasser quelques années et entretiendra le jardin de feu Santanac Raymond, l'un de ses meilleurs amis d'enfance.

Il partagera cette passion avec son frère "Bouboule" qui décèdera malheureusement en 1987.

Il perdra de nombreux membres de sa famille dans les années 80.

Mon grand-père devait tout de même surveiller sa santé, pour préserver son coeur.

Pour une congestion, il ne jugeait pas utile de faire venir le médecin traitant qu'il n'appelait qu'en dernier recours.

Auparavant, il prenait de l'Aspégic, un bon groc avec une bonne dose de rhum, du "Trois-six" (l'eau-de-vie ordinaire est généralement à 49°) sous un mouchoir entouré autour de son cou, et il gardait le lit le plus longtemps possible.

Le sommeil et la transpiration devaient faire leur travail !

Reconnaissons que ça marchait, mais parfois cataplasmes et ventouses s'imposaient avant d'appeler le docteur.

Ses enfants se souviennent encore des cataplasmes faits d'une bouillie à la moutarde enveloppée dans du journal, recouverte d'un linge et appliquée sur sa poitrine.

Quant aux ventouses s'entrechoquant et laissant des marques rondes et rouges sur tout le corp, c'était tout un spectacle !

Quand l'appétit revenait c'était bon signe.

Il n'avait rien d'un Gargantua, mais il aimait la bonne cuisine et le bon vin qu'il devait consomer avec modération !

Or, mon grand-père avait tendance à manger gras et à dépasser la dose prescrite par le docteur.

Aussi, quelques jours avant les contrôles sanguins, il faisait le régime croyant fausser ainsi les analyses !

S'il lui arrivait de manger des gruillades, asperges et herbes sauvages, il ne se privait pas de charcuterie, tripes, cépious et autres plats en sauce dont il prenait soin de surveiller la cuisson.

A table, il avait sa chaise perso et bien sûr se tenait toujours à la même place, à portée de la télévision et du frigo.

A la fin du repas, sur la table débarassée, il ne restait que son verre de vin rouge et si par malheur ma grand-mère tentait d'enlever la bouteille prématurément, il l'interceptait et faisait exprès d'en rajouter une dose.

Il nous disait qu'il gardait ce verre en fin de repas pour se laver les dents !

Et puis ce vin, il l'avait gagné et mérité, car il fournissait des efforts durant ses journées de travail !

Le vin rouge était salutaire car conseillé par le docteur.

Et gare à celui ou celle qui le coupait avec de l'eau !

C'eut été un crime !

Mon grand-père n'était pas dupe, car il avait le goût développé.

Il maîtrisait toutes les étapes jusqu'à la consommation, sauf celle de la fabrication !

Je me souviens lui avoir offert un tonneau mais le vin avait vite viré au vinaigre !

Il travaillait une vigne de Raymond Santenac qui lui donnait droit à une petite buvette.

Il faisait sa mise en bouteilles pour sa consommation courante.

Ce verre à la fin du repas, il prenait le temps de l'apprécier tout en regardant les informations télévisées.

Pour ce qui est d'écouter, c'était plus difficile, car ma grand-mère faisait du bruit en lavant la vaisselle !

Alors, plutôt que de monter le son de la télé, il appuyait son coude sur la table et rabattait avec sa main gauche le pavillon de l'oreille vers le téléviseur.

Après les actualités, il allait s'installer dans son fauteuil du salon pour faire comme il disait sa "pitadette" en parlant de la sieste.

Le soir, aprés les "chiffres et les lettres", je crois me rappeler qu'été comme hivers, il se préparait une bonne assiette de soupe, suivi d'un repas allégé.

Aprés son lavage de dents au vin rouge, il quittait son dentier et le laissait rincer dans un verre d'eau jusqu'au lendemain.

Il se couchait très tôt car il lui fallait minimum ses 10 heures de sommeil pour être frais et dispo au petit matin.

lors des repas de famille, il ne prenait pas de café, mais ne crachait pas sur le "pousse café".

Je garde le souvenir d'une "cargolade" bien animée !

Sous les effets du "pinard", les débats autour de la politique faillirent dégénérer en dispute.

Mais il n'y avait jamais de rencune, et la bonne humeur reprenait toujours le dessus.

Mon grand-père disait que lorsqu'on s'indignait de l'augmentation de la baguette de pain, on faisait de la politique, et il argumentait son exemple.

Ne croyez pas qu'il n'appréciait pas les boulangers !

Au contraire, le dimanche il se faisait porter de chez "La Yéyé", une patisserie qu'il appelait la "Quique du curé" !

Quitte à me répéter, je confirme qu'il était fin gourmet.

Il appréciait les produits de la mer : violets, tenilles, coquilles mais également les huîtres qu'il était chargé d'ouvrir à tous nos repas de Noël (il était aidé dans cette tâche par mon oncle Aimé Milhé et mon beau-père Pierrot Iché).

Que de moment inoubliables partagés avec son cousin germain "Frère Guy", moine capucin.

Malgré leurs divergences, j'étais fasciné par leur connivence.

Nous avons vécu des scènes dignes des épisodes de "Don Camillo et Pépone".

Ils tombaient souvent d'accord, sans pouvoir bien entendu se convertir à leur courant de pensée respectif.

Frère Guy animait nos repas de sa voix d'opérette, tandis que mon grand-père poussait la cansonnette.

Ensemble, il partageaient un chant révolutionnaire, "Le temps des Cerises".

Quand à mon grand-père,il s'adressait parfois à ma grand-mère, en lui chantant la complainte de maître Pathelin : "Voilà, voilà ce que je veux vous dire, vous dire je t'aime en tombant à vos genoux ... etc ...".

C'était un bon vivant, doté d'une patience exemplaire.

Plutôt que de répondre aux provocations des uns ou des autres, il faisait signe que ça rentrait par une oreille pour ressortir par l'autre.

C'était également un fin observateur des gens vivant en société.

Il aimait se moquer sans méchanceté.

Par exemple, quand il voyait un passant portant une énorme moustache, il disait : "Il a dû pleurer aquel pour obtenir sa moustache !"

Malgré ses rhumatismes (il portait parfois du cuivre autour du poignet), il était toujours prêt pour donner un coup de main, et ne pouvait s'empêcher de donner des conseils.

Il avait 70 ans quand, monté sur un échafaudage, il a crépi un des murs de ma cour.

J'en ai conservé un document vidéo.

S'il était serviable, il aimait aussi se faire servir, mais il demandait avec un diplomatie inimitable : "Tu peux me faire passer ceci ou cela? ..." et il rajoutait " ... en te commandant, sans te commander! "

Il avait une grande complicité avec ses frères.

Ils travaillaient tous les trois au salin, mais après la journée de travail, il fallait qu'ils se retrouvent tous les soirs d'été, dans la rue Carnot, Albert debout, face à ses frères assis sur le trottoir.

Mon grand-père "coco" appelait affectueusement ses frères, le curé et le sos.

Leur tolérance et leur respect mutuel témoignaient de la force de leurs liens fraternels.

Entre mon grand-père et "Bouboule", c'était très fusionnel.

Physiquement il se ressemblaient et avaient un caractère identique.

Les lundis de Pâques, ils ne montaient pas à Notre Dame des Auzils.

Leur pèlerinage s'arrêtait au jardin potager, et un an sur deux chacun baptisait le petit déjeuner (d'un verre de vin rouge je suppose!)

Mon grand-père était d'une grande simplicité et se contentait de peu, le principal étant de rester dans son village natal (il n'a jamais passé le permis de conduire).

Je ne l'ai jamais vu costumé que pour les cérémonies auxquelles il était obligé d'assister.

Le reste du temps, il était en bleu de travail, chemise à carreaux de saison, pull-over, le tout rapiécé par grand-mère.

Coiffé d'une casquette, il était chaussé de "patte au gaz", espadrilles ou charentaises.

Par forte chaleur, il se mettait en débardeur, le fameux "Marcel tout blanc".

Il se portait bien, se promenait seul ou avec ma grand-mère, se baladait à pieds ou à vélo jusqu'au jour ou il tomba de celui-ci.

Plus de peur que de mal !

En 2003 ... une nouvelle chute nous inquiète davantage car elle survient à son domicile.

Son état de santé va commencer à décliner lentement.

Ma grand-mère n'étant pas en capacité de s'en occuper, vont débuter les va et viens entre Coullioure et Sigean où mes grand-parents vont être pris en charge par leurs enfants.

Eté 2004, une hospitalisation s'impose et le diagnostic nous accable tous : une tumeur incurable au cerveau.

Les palliatifs ne feront que freiner l'échéance.

Son état s'aggravant, il dû rester les derniers mois de sa vie à Sigean.

De la canne au déambulateur, du déambulateur au fauteuil, du fauteuil au lit, voilà le calvaire qui se poursuit et qu'il affronte dignement.

Tout le monde, enfants et corps médical étaient à ses petits soins

Un jour, alors que l'un d'entre nous l'assistait dans les gestes les plus élémentaires de la vie, pour la première fois je l'entendis dire autrement qu'en chanson : "Je t'aime, je vous aime tous".

Pour son dernier Noël, c'est la première fois que je vis pleurer, quand au téléphone Frère Guy lui chanta "Minuit Chrétien".

Le même jour, alors qu'il était affaibli et bouffi par la courtisone, il s'inquiétait d'autrui et en guise d'au revoir à mon brau-père, lui dit en retenant ses larmes : "Prends soin de toi".

Le 24 février 2005, après le repas du soir, alors qu'il était alité et endormi, je vais lui déposer un baiser avant de quitter le salon.

A peine dans le couloir, je fais 2 pas en arrière pour jeter un oeil furtif sur son visage avant de m'en aller.

Peu de temps après, alors que je roule en direction de Ricardelle, mon téléphone portable sonne.

Papet était au plus mal.

Du moins, c'est ce que j'avais compris.

En fait, il était déjà décédé.

Quand j'arrive à Sigean, je le retrouve le visage reposé, vêtu du costume qu'il portait lors de mon mariage.

Il s'était éteint apaisé et très entouré.

Ne croyez pas en vous racontant tout ça, que je veuille tomber dans le pathétisme.

Mon grand-père ne l'aurai pas voulu.

D'ailleurs, lui même plaisentait en parlant de la mort.

C'est pour cela que je vais conclure par ces dernières volontés que nous avons respectées.

Son fils lui glissa un cigare dans la poche, alors qu'il avait cessé de fumer depuis 50 ans !

Quand à moi, je lui avais chatoiullé le dessous des pieds comme il l'avait demandé.

Mais ses éclats de rire faisaient déjà partie du passé.

Chers cousins, l'évocation de nos aëuls, parfois difficile à entendre, doit nous servir de tremplin pour nous propulser dans l'avenir.

Je vous souhaite à vous, vos enfants et vos proches, de croquer la vie à pleine dents, et si sur le chemin du bonheur vous ne savez pas trop où allez, alors regardez un instant d'où vous venez et vous trouverez dans nos racines le guide que vous cherchiez.

"POUTOUS A VOUS TOUS"


Cf
: Mignard Nicolas - Le Cercle Généalogique Gruissanais.
F. G.