PATRIMOINE ARCHEOLOGIE
LE MOYEN - ÂGE
Le Château de Gruissan
 
APPROCHE HISTORIQUE ET INVENTAIRE ARCHEOLOGIQUE DU CHÂTEAU DE GRUISSAN
 


Vue générale du village

Le village (cité maritime), construit autour du rocher qui porte les ruines du Château, présente un intérêt historique et architectural majeur.

Il s'agit d'un patrimoine dont la richesse et la diversité sont exceptionnelles.

Le Groupe de Recherches Archéologiques Subaquatiques de Gruissan (G.R.A.S.G.) passionné par cet ensemble a entrepris depuis plusieurs années sa sauvegarde et sa mise en valeur.

Actuellement des investigations collégiales sont en cours : Architectes, Archéologues et Historiens, s'activent autour de ce site pour en approfondir son histoire.

Nos actions en partenariat avec la Mairie, sont la protection et la réhabilitation du Château et du village.

Nous espérons que ce début d'étude répondra à vos questions.

La bibliographie en fin de dossier complètera vos informations.


Le Président
J. GRAULLE
 
Etude réalisée par Sandrine SIRE - Archéologue
et l'équipe du G.R.A.S.G.
le 23 Aoùt 1991

Historique du château
 
L'élaboration du présent historique du château de GRUISSAN, a été constituée avec l'aide de documents divers (G. MOUYNES - P. CARBONNEL - J. TISSIER), dont on ne peut que regretter le faible nombre. Ces derniers, cependant, nous éclairent particulièrement sur certaines périodes de l'occupation du Château. Quant à la date exacte de la construction du Château de GRUISSAN, nous l'ignorons ; mais nous pouvons la situer approximativement vers la fin du Xe siècle, début XIe , à cause des invasions arabes (719 - 793 ), normandes (859 ), hongroises (927 ), qui ont marqué les siècles précédents et qui restent la cause principale des nombreuses édifications de forteresses sur la côte méditerranéenne, au Xe siècle.

C'est ainsi que ce Château, par sa situation géographique, joue plusieurs rôles. Tout d'abord, il assure une surveillance côtière des navires de passage vers le port de Narbonne et protège aussi la ville en la prévenant d'éventuelles invasions. De plus, la protection royale ne pouvant être appliquée en permanence, ce sont les autorités régionales qui décidèrent de construire de petites forteresses, tel le Château de Gruissan, afin d'assurer leur défense.

La construction du Château aurait donc eu lieu sous l'épiscopat d'Ermengaud (977 - 1019) à l'entrée de son domaine maritime, sur un rocher abrupt dominant.

Il faut rappeler ici, qu'en 768, Pépin le Bref, répartit les biens du royaume en favorisant particulièrement l'église envers qui il était redevable.

Le village et son château


C'est ainsi qu'après l'occupation des Arabes, Aribert, Evêque de Narbonne, bénéficie de ces largesses royales parmi lesquelles se trouve le terroir de Gruissan qui comprend outre le domaine maritime, les terres cultivables et les garrigues. En 844, Charles le Chauve confirme à Bérarius, alors Archevêque de Narbonne, les libéralités consenties sur ce domaine.

Dès le XIe siècle, c'est une grande partie de ce terroir que les Archevêques cédèrent, moyennant compensation, à de petits seigneurs de la région.

Le premier document historique (G. MOUYNES - Série A.A, Note D, Pages 395), mentionnant le Château , est un acte de partage des biens de Guillaume Daudé, Seigneur du terroir (mort en 1084), entre ses deux fils Bérenger et Guillaume, d'après l'arbitrage de leur oncle Bernard. Le droit de progéniture fait assigner à Bérenger " … le Château de Gruissan avec tous les domaines et appartenances : terres, vignes, maisons, jardins, prés, garrigues, fermes, hommes et femmes, et tous droits de seigneurie sans exception, ni réserve… "

Le terroir ainsi partagé entre l'Archevêché de Narbonne et le Seigneur, se retrouve, à la longue, sous l'autorité de l'Archevêque grâce à sa puissance personnelle et ses relations politiques. Ces droits, étant chers aux Archevêques le succédant, Pierre de Situlvéro et Pons d'Arsac, furent confirmés respectivement par le Pape Eugène III et par le Roi Louis VII en 1165, Arnaud de Raissac ayant pris la suite de la famille Daudé, possède alors, le Château de Gruissan. Il reconnaît le tenir de l'Archevêque Bérenger de Lérida, nommé en 1192, en échange de sa fidélité.

C'est ainsi que les Daudé et les Raissac avaient successivement possédé le Château en entier.
Plus tard, il sera divisé en deux parties, une étant la propriété de l'Archevêché de Narbonne et l'autre celle des Seigneurs descendants des Raissac. Des différents existaient entre les deux parties pour la possession totale ou partielle du Château ; et qui étaient sanctionnés par des sentences arbitrales.

Dans l'acte de 1208, Marie de Raissac (petite-fille d'Arnaud de Raissac) eut deux fils : Bernard et Pierre-Guillaume.
Ce dernier eut une fille que l'on appela Dame Nègre, ou la Noire, autrefois nommée Aliez Lavezer, mariée à Bernard d'Ouveillan.
Celle-ci bailla en engagement à Rodrigue de Narbonne fils du second lit du Comte Pierre de Lara, donc un demi-frère du Vicomte de Narbonne - Aimeri III, la part qui lui revient de la Seigneurie de Gruissan (contre 50 000 sous melgoriens), c'est à dire, la moitié du Château et les droits seigneuriaux.

En 1224, la possession de l'autre moitié est contestée entre les successeurs de Rodrigue de Narbonne et l'Archevêque Arnaud Amalric. A cette date, la sentence arbitrale rendue (par Elie, Abbé de Lagrasse et Bernard Amiel) attribue à l'Archevêque cette moitié (contre 6 000 sous melgoriens).

La dernière contestation eut lieu en 1234, entre Garsinde petite fille de Rodrigue de Narbonne, femme de Bérenger de Boutenac, et l'Archevêque Pierre Amiel, par la sentence rendue par l'Archevêque de Vienne, l'Archidiacre Pierre Corbière et deux juristes, Guillaume d'Albas et Guillaume Fabre, la moitié contestée revient légitimement à Bérenger de Boutenac, mais l'Archevêque existant en gardera possession et jouissance jusqu'à sa mort.

En 1245, Pierre Amiel meurt et Bérenger de Boutenac reprend possession de sa moitié. Sous son archiépiscopat, Pierre Ameil n'avait cessé de se heurter au Comte de Toulouse, au Vicomte de Narbonne, aux hérétiques du Bourg, aux Maures d'Espagne et à ses propres chanoines.
Lors de deux soulèvements populaires, en 1234 et 1242, l'Archevêque fut forcé de se réfugier à Béziers.
C'est ainsi que Guillaume de Broa, prenant la suite de Pierre Ameil le 28 mai 1245, hérite d'une situation troublée. De ce fait, en vue d'assurer sa sécurité, il décide de s'installer dans le Château de Gruissan. Ce dernier étant très délabré, l'Archevêque le fait restaurer.

Une charte de 1245 entre Guillaume de Broa et Bérenger de Boutenac, mentionne "la vieille tour qui est au milieu du Chasteau de Gruissan toujours commune".
En 1247, une deuxième charte nous informe que l'Archevêque fit construire une seconde tour. Celle-ci appartenant à Guillaume de Broa, la tour centrale se voit attribuée à Bérenger de Boutenac.
Du fait que la restauration de cette petite forteresse pouvait assurer une grande défense, le Roi Philippe III le Hardi, en lutte contre Pierre III d'Aragon, y envoie en 1285, une garnison de troupes royales au détriment de l'Archevêque qui perd momentanément ses droits sur le Château.
Pierre de Montbrun, alors Archevêque de Narbonne , se plaignit en vain, des dégradations infligées par les soldats du Roi, à la forteresse.

Ce n'est qu'en 1296, que le nouvel Archevêque, Gilles Aycelin de Montaigut, redevient le seul maître de la seigneurie. Les descendants de Bérenger de Boutenac lui ayant vendu leur moitié ainsi que les droits seigneuriaux. Gruissan devint une châtellenie ecclésiastique et resta l a propriété pendant près de trois siècles de l'Archevêque de Narbonne L'inventaire des revenus et des droits seigneuriaux de l'Archevêché sous l'épiscopat de Pierre de la Jugie, en 1346, qualifie le Château de Gruissan de " Castrum Pulchrum "
Un dénombrement de l'Archevêque Jean de Lorraine en 1547, le nomme : " … Chasteau bien fort … "

Dans un document de 1580 " L'Esté " Journal de B. Poissenot, la tour centrale faisait office de prison, tandis que pendant les périodes d'insécurité, le Château servait de refuge aux villageois.

En effet, au XIIIe et XIVe siècles, attirés par la prospérité de Narbonne, les incursions des pirates de différentes nationalités Catalans, Majorquins et Génois, étaient monnaie courante.

Cependant, les Archevêques, voulant préserver de bonnes relations avec les habitants de Narbonne, choisirent de demeurer dans cette ville. De ce fait, nul Archevêque depuis le nomination de Guillaume de Broa ne résidera au Château. Seule une garnison y fut laissée.

Hypothèse de reconstitution du Château
Maquette Max Josserand


Une relative tranquillité s'installa, alors, seulement interrompue par les guerres de religion.

Dès lors, le Château sera occupé successivement par les troupes de la ligue et celle des protestants commandés respectivement par le Duc Guillaume de Joyeuse et le Gouverneur Henri II de Montmorency.

Les Consuls de Narbonne, de même que l'Archevêque François de Joyeuse, en accord avec les ligueurs (Membre d'une ligue - Union formée entre plusieurs Princes), installent en 1589, une garnison à Gruissan.
En août 1589, le chef des protestants s'empare du Château au terme d'un siége qui apportera la famine. Mais ce dernier, en 1590, l'abandonnera aux ligueurs ; et aussitôt, les Consuls y réintégrèrent leurs garnisons.
De peur que le Château soit repris par les opposants à la ligue, les Consuls implorent, en vain, le Duc de Joyeuse, de le faire démolir.
Néanmoins, la place fut reprise en 1592 par les troupes de Montmorency, commandées par le Capitaine Guillermini Boydo, mercenaire italien et après avoir tenté, sans succès, de s'emparer d'autres points stratégiques voisins, tel que Bages.

Malgré une trêve instituée en 1533, les différents existaient entre les deux partis qui gardèrent leurs positions respectives. En mars 1594, des Espagnols venus de la mer, attaquent le village, leur tentative échoua.

Gruissan redevint au pouvoir des ligueurs après l'entrée d'Henri de Navarre à Paris, qui mit fin à cette lutte religieuse, en se convertissant au catholicisme.
Narbonne fut la dernière ville du Languedoc à se soumettre au Roi Henri IV, ce qu'elle fit en mars 1596.

Devant la menace espagnole, le Château fut réapprovisionné et réarmé, sous l'ordre des Consuls, dans une délibération, le 16 décembre 1596. Et ce fut Guillermi Boydo, réconcilié avec les ligueurs, qui en pris le commandement.
Plus tard, sous l'ordre formel du Cardinal de Joyeuse, il fut obligé de se retirer de cette place.
En 1632, les Montmorency furent vaincus à Castelnaudary.

L'ordre de démolition
Suite à sa compromission dans les évènements précédents, le Château fut condamné a être démantelé, bien que son utilité défensive fut indiscutable, étant la seule fortification entre Agde et Leucate, ainsi que d'autres forteresses du Languedoc tel que le Fort de Brescou. Celui de Gruissan, sa démolition fut ordonnée le 1er octobre 1632 à Montpellier. Cette résolution fut appliquée sous l'ordre inspiré de Richelieu et signé de Louis XIII le 28 octobre 1632 à Toulouse, afin de préserver le pouvoir royal de quelconque résistance seigneuriale.

Etat actuel du château


Cet ordre prend effet en 1633 sous l'Archevêque Claude de Rebé, agent du Cardinal de Richelieu, qui le rend inutilisable. Trente ans plus tard, l'Archevêque François Fouquet utilise les plus belles pierres de la forteresse afin de reconstruire l'église paroissiale au pied du rocher.
Par le suite, faisant usage de carrière pour la construction du village, le Château, complètement abandonné, fut progressivement démantelé.
   
Archevêques de Narbonne
 


977 Ermengaud
1019 Guifred de Cerdagne
1079 Pierre Bérenger
1085 Dalmace
1096 Bertrand de Montredon
1106 Richard de Milhau
1121 Arnaud de Levezon
1150 Pierre de Situlvero
1156 Bérenger Ier
1162 Pons d'Arse (ou d'Arsac)
1181 Bernard Gaucelin
1191 Bérenger II de Lérida
1212 Arnaud Amalric
1226 Pierre Ameil
1245 Guillaume de Broa
1258 Jacques
1259 Guy Foulques (puis Pape Clément IV)
1262 Maurin
1272 Pierre de Montbrun
1287 Gilles Aycelin de Montaigut
1311 Bernard de Farges
1341 Gausbert du Val
1347 Pierre de La Jugie
1375 Jean-Roger de Beaufort
1391 François de Lonzie
1433 François Condalmieu (ou Condalmerio)
1436 Jean d'Harcourt (Cardinal)
1451 Louis d'Harcourt
1460 Antoine du Bec-Crespin
1473 Renaud de Bourbon (Raynal)
1482 Georges d'Amboise (Cardinal)
1484 François Halle
1492 Georges d'Amboise (Cardinal) (2ème fois)
1494 Pierre d'Abzac
1502 François-Guillaume de Castelnau
1507 Guillaume Briançonnet (Cardinal)
1515 Jules de Médicis (Cardinal puis Pape Clément VII)
1524 Jean de Lorraine (Cardinal)
1550 Hippolyte d'Este-Ferrare (Cardinal)
1551 François Pisani (Cardinal)
1563 Hippolyte d'Este-Ferrare (Cardinal) (2ème fois)
1572 Simon Vigor
1582 François de Joyeuse (Cardinal)
1600 Louis de Vervins
1628 Claude de Rebé
1659 François Fouquet

 
 
Vicomtes de Narbonne
 


938 Matfred
966 Raymond Ier
1023 Bérenger
1067 Raymond II - Bernard et Pierre
1080 Pierre, seul
1080 Aimeri Ier
1105 Aimeri II
1134 Alphonse Jourdain, Comte de Toulouse
1143 Ermengarde
1193 Pierre de Lara
1197 Aimeri III
1239 Amauri Ier
1270 Aimeri IV
1298 Amauri II
1328 Aimeri V
1336 Amauri III
1341 Aimeri VI
1388 Guillaume Ier
1397 Guillaume II
1424 Guillaume III (Pierre de Tinierès)
1447 Gaston Ier (de Foix)
1468 Jean de Foix
1500 Gaston II (de Foix)
1507 La Vicomté de Narbonne revient au Roi Louis XII.

 
   
Les seigneurs de Gruissan
 


La famille Daude avant 1084 jusqu'en 1192
La famille Raissac de 1192 à 1208
Rodrigue de Narbonne de 1208 à 1224
Bérenger de Boutenac à partir de 1245 jusqu'en 1296

 
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Etude réalisée par
Valérie SERDON - Archéologue
et par Frédéric MARTORELLO - Architecte
E-mail: valerie.serdon@laposte.net
Description archéologique du site
 
A - Situation et accès
 
Accès au château
Le château de Gruissan se dresse sur un socle rocheux qui forme l'assiette de la forteresse ; les côtés sont matérialisés par une falaise en surplomb dominant la mer des côtés Nord et Ouest. Actuellement, le seul accés praticable se situe au Sud - Est où des escaliers maçonnés ont été aménagés. Le sentier serpente sur le flanc du rocher recoupant peut-être l'ancien chemin (traces d'outils ayant servi à tailler le rocher et de mortier). Bien qu'aménagée à une époque récente, elle reprend peut-être l'ancienne rampe en pente douce plus ancienne dont subsiste un tronçon. En effet, cette voie d'accés taillée à même la roche et son tracé pourraient suggérer un parcours en chicane qui aurait permis de rejoindre le château depuis le village.
En 1580, Benigne Poissenot, évoquant la tour de Broa écrit : " l'autre (tour) sur la porte ". on peut affirmer que cet accés existait au XVI ème siècle, mais datait-il du Moyen Âge ?
L'essentiel de la défense de cet accès devait être assuré depuis la plate-forme sommitale de la tour, aujourd'hui en partie ruinée.

Les enceintes basses et le village
La forme du village est en grande partie déterminée par les murailles estérieures et, à l'intérieur, elle est matérialisée par la bande
des maisons accolée à l'enceinte : celui-ci est donc contourné par une double enceinte qui abrite le bâti.
En effet, un mur d'enceinte entourait le village, bâti sur le tracé assez irrégulier de la presqu'île et suivait le sol aux endroits où il était le plus consistant (de nombreuses zones trop marécageuses ne permettaient pas une assise suffissante pour les constructions).
A la fin du XVIIIèmesiècle, il était encore en élévation même s'il n'avait
Plan cadastral de 1771
plus, depuis peu, de valeur défensive (plan de J. Revel daté de 1771). Dans le plan du noyau circulaire, il est facile de lire le parcours de l'enceinte même si les vestiges n'ont pas subsisté. La comparaison du cadastre napoléonien avec le plan actuel montre que l'évolution des deux derniers siècles n'a pas déformé ce noyau central.
Près de la porte d'En Bonnet, orientée à l'Est, on remarque la forme allongée caractéristique du développement du village le long de la rue principale (Grande Rue, cadastre napoléonien, section B, 1er feuillet). Le document daté de 1771 montre que quelques maisons avaient été construites hors de l'enceinte. Une prospection systématique à l'intérieur des maisons serait nécessaire à un éventuel repérage des structures encore visibles dans le parcellaire.
Le problème des accès est crucial car il constitue le point le plus sensible de la défense. Le premier anneau de l'enceinte, percé de deux portes, permettait donc l'accès au village castral primitif. Les portes de la ville ont aujourd'hui disparu. L'accès se faisait vraisemblablement par celle située auprès de la tour en suivant le chemin qui partait de la porte des remparts extérieurs et qui traversait une partie du village et longeait l'église.
Un second sentier, depuis la porte dite de Pujos, permettait de rejoindre cette entrée qui correspond à la rue actuelle du château. L'acte de 1247 confirme l'existence de ces deux portes sans en mentionner le nom. Celles-ci devaient être protégées par des ouvrages avancés de type barbacane (une mention assez laconique dans un texte du XIIIème siècle fait référence à ce type de construction mais elle se rapporte vraisemblablement à un accès au pied du château). Dans l'actuelle rue du rempart (au n°6), à l'Est du village près de la porte d'En Bonnet, une maison garde la trace de constructions fortifiées : une muraille perpendiculaire s'appuyant contre les anciens remparts protégeait une entrée secondaire du village. Un pan de mur, aujourd'hui crépi, conserve les vestiges d'une meurtrière présentant un évasement. Cette sorte de redan, situé à l'intérieur des remparts, est bien visible sur le plan de 1771 au niveau des parcelles 273 bis, 274 et 275 qui n'étaient alors pas construites.
L'évolution spatiale du village et le phénomène de concentration de l'habitat ne sont pas dissociables de l'aspect socio-politique, signe d'une insécurité chronique. Cette situation entraîne l'abandon de l'habitat dispersé au profit d'un habitat plus concentré. Néanmoins, la bibliographie relative aux " circulades " languedociennes est contradictoire : la question de savoir si le village aurait été planifié et loti de façon circulaire ou se serait développé de façon spontanée autour d'un point fortifié n'a toujours pas été tranchée. L'analyse de plans anciens et des examens approfondis sur le terrain montrent cependant que le parcellaire est resté inchangé depuis l'établissement du cadastre napoléonien. A mon avis, les extensions progréssives, organisées en anneaux successifs réguliers, ont été imposées par la configuration du terrain au fur et à mesure du développement de la population. L'enceinte serait donc tardive.
La position du parcellaire et l'agencement du bâti témoignent d'une étroite relation avec les centres de pouvoirs temporels et spirituels, le château et l'église : les relations sociales et le degré d'interdépendance entre les habitants et le pouvoir sont restés très forts contrairement à la plupart des autres circulades qui sont développées autour de noyaux exclusivement
plan cadastral de 1830
religieux. A Gruissan, l'église paroissiale se trouve à proximité du château, qui reste le signe le plus évident de regroupement de la population ; le château abrite cependant dans son enceinte la chapelle castrale destinée au seigneur et à sa cour.
Au pied de la butte, le système de défense devait être renforcé par une enceinte avancée en pierre ou en bois, ce qui expliquerait que les premières maisons du village ne sont pas accolées au négatif de l'enceinte repéré au pied du promontoire rocheux.
Étude archéologique

a. Les abords du promontoire rocheux au droit de la seconde enceinte

Dans un second temps, après l'attention portée aux plans anciens, une partie de l'intervention a consisté dans la prospection des abords, au pied du rocher, en vue de déterminer la localisation d'une éventuelle enceinte. Une dizaine de pans de murs ont pu être ainsi repérés, topographiés et photographiés. La confrontation entre les différents documents graphiques (plans cadastraux, compoix et relevé du géomètre) ont permis une meilleure localisation de cette enceinte, de l'espace des lices et de répondre à certaines questions. Ce périmètre fortifié, au pied du rocher, devait donc essentiellement se composer d'une courtine à base talutée en grand appareil de calcaire soigneusement taillé issu vraisemblablement du site même.

b. Préambule à l'exposé de l'étude archéologique de la plate-forme sommitale
Sur la plate-forme sommitale, il s'est agi de déterminer une chronologie relative des différents vestiges par l'observation des courtines qui épousent le rocher de plan grossièrement polygonal et des pièces encore en élévation : épaisseurs, techniques de construction, détermination et descriptif des matériaux (liants, agrégats, pierres…). Les parements en pierre de taille ne sont pas partout conservés, parfois ne subsistent que quelques assises, le blocage interne dont l'ensemble est lié au mortier est parfois le seul visible.
Les gabarits respectifs des moellons de chaque assise ont été déterminés et les volumes du mur original ont été restitués : à certains endroits, les murs sont particulièrement épais et laissent supposer la présence de plusieurs étages comme dans les salles attenantes à la tour.
 

c. Les enceintes hautes

Elles sont de formes irrégulières car leurs tracés suivent au plus près les bords de l'assiette rocheuse. Le château épouse le pourtour de l'éperon et sa forme est ainsi largement déterminée par la topographie.
Les deux points névralgiques présentent des murs plus épais : l'angle Sud-Ouest et la tour qui a conservé une bonne partie de son élévation. La tour flanque la basse-cour et elle est située dans l'endroit le plus vulnérable : peut-être contrôlait-elle aussi l'accès à la plate-forme sommitale ; des travaux de terrassement dans le rocher sont perceptibles (celui-ci est taillé à l'endroit de l'accès actuel et des lambeaux de mortier sont encore visibles sur la pierre).

d. Le front Sud-Ouest

Le mur, conservé sur quelques assises, épouse le contour de l'assiette rocheuse. Le plan présente une sorte de redan qui fait office de flanquement. Un décrochement est bien visible ; il est le point de jonction des deux courtines. Deux types d'appareils sont visibles : des blocs de calcaire clairs bien équarris dans l'angle Ouest et des blocs de dimensions plus réduites et taillés plus grossièrement sur la façade Sud.
 
Le mur au tracé brisé, présentant un décrochement bien visible, témoigne de deux phases de construction différentes ; la portion de courtine au Sud appartient à une autre phase plus ancienne (largeur du mur plus réduite, appareil de taille différente).
Une construction (bâtiment polygonal ou éperon à l'angle Ouest de la courtine) couronne les hauteurs de la falaise. Le pied de cet escarpement est battu par une meurtrière percée dans la courtine dont il ne reste que la partie inférieure. L'angle Ouest de la courtine fait l'objet d'une controverse. Il a en effet été interprété comme une tour alors qu'aucun retour n'a pu être mis en évidence du côté Nord.

Courtine Sud-Ouest
Cette partie est bâtie en pierres de taille calcaires d'extraction et de couleurs diverses et diffère, par la qualité de sa mise en œuvre, des autres maçonneries visibles ; elle pourrait dater d'une phase de refortification de la seconde moitié du XIIIe siècle. L'épaisseur des murs atteint 1,22 m. Un assise débordante en grand appareil apparaît dans la partie basse ; le liant comprend de nombreux petits galets. Cinq assises en moyens appareils de calcaire dur sont toujours en élévation. Dans la partie supérieure, seul le blocage intérieur du mur, lié au mortier, est conservé. Une archère se découpe dans l'épaisseur du mur qui semble appartenir à une modification de cette construction. Deux blocs de calcaire forment l'embrasure dans l'épaisseur du mur.
Éperon Ouest à l'angle des courtines Sud-Ouest
et Nord-Ouest
 
Cette ouverture n'est pas conservée en élévation et le niveau de sol d'origine est difficile à déterminer. Elle devait vraisemblablement présenter un fruit ou un aménagement de type étrier dans leur partie basse pour faciliter le tir plongeant, mais le parement extérieur n'est pas conservé et on ne peut pas l'affirmer avec certitude. À l'aplomb de cette ouverture on remarque l'existence d'un défoncé muré interprété récemment par le GRASG comme une poterne. Le parement extérieur est mieux conservé (16 assises sur le côté Sud-Ouest et 21 du côté Nord-Ouest).
Vestige d'ouverture de tir dans l'éperon Ouest

Sur cette façade, le flanquement est peu étendu et la saillie est peu favorable à la défense : une trop grande longueur rectiligne de courtine sans tour intermédiaire constitue en effet un point faible. Mais le tracé irrégulier pallie cet inconvénient et permet aux défenseurs de pouvoir battre efficacement les abords extérieurs sans qu'il y ait besoin de flanquement.
Du côté Sud, la courtine est construite en moyen appareil, le blocage est plus petit que dans la partie Ouest. L'épaisseur du mur représente 67 cm environ. Les moellons de calcaire, extraits du site, sont moins bien appareillés que dans la partie Ouest. Les lits de mortier sont aussi moins importants. Les modules varient entre 30 x 15 cm et 30 x 20 cm. Le parement extérieur épouse le rocher grossièrement taillé à cet endroit. Il est conservé sur une douzaine d'assises.
Sur le rocher, un pan de mur orienté Nord-Sud est conservé sur 1,46 m ; il mesure 42 cm de large. Un mur perpendiculaire, conservé sur 49 cm, vient s'appuyer sur ce mur. Ces deux murs devaient s'appuyer contre les murs de courtine orientés Sud-Ouest et Sud-Est. Cela ne reste qu'une supposition et il est cependant difficile, en l'état actuel des vestiges, d'en déterminer la fonction.

e. La courtine Nord-Ouest
 
Le chaînage d'angle côté Ouest est construit en grand appareil de calcaire bien équarris et soigneusement appareillé. Le parement extérieur y est bien conservé. Vers le nord, sur les 4/5e de la courtine, le parement a disparu. De ce côté, le terrain est très accidenté.
Le rocher a été grossièrement taillé pour la construction du mur. L'escarpement de ce côté du site est tel que le souci de défense n'a pas fait l'objet de la même attention qu'à d'autres endroits plus exposés du site. Le retour du mur orienté vers le Nord-Est, et donc la courtine Nord-Ouest, semblent appartenir à la même phase de construction que la courtine Nord-Est.


L'ensemble maçonné au Sud-Est
À l'extrémité Sud de l'enceinte Sud-Ouest, le rocher est taillé de façon à matérialiser un angle. Le retour est perpendiculaire à l'enceinte décrite précédemment et présente les mêmes techniques de construction.
Sur la façade Sud-Est du rocher, de nombreuses traces éparses de mortier de chaux sont encore visibles et pourraient témoigner de la poursuite du mur jusqu'à l'extrême bord du rocher. Les traces de mortier sont perceptibles jusqu'à l'amorce du dernier tournant de l'escalier qui permet actuellement l'accès au site. Une pierre de taille a été insérée dans l'une des failles du rocher, destinée à soutenir sans doute un blocage.
Extrémité Nord de la courtine Nord-Est
Le mur de la courtine Sud-Est n'est pas conservé en élévation. A l'Est, la tour est venue s'appuyer contre la courtine, révélant ainsi une époque de construction ultérieure à l'enceinte. La tour pourrait occuper l'emplacement de la barbacane citée dans un texte du XIIIe siècle.

f. La tour actuel dite" tour de Broa " et les pièces attenantes
La tour
 
La tour arrondie, en forme de fer à cheval, présente deux étages d'habitations voûtés en cul-de-four et une plate-forme sommitale réservée à la défense. Cette construction est relativement bien conservée, sauf dans sa partie Ouest. Le plan circulaire, caractéristique des constructions du XIIIe siècle dans la région, même s'il est moins bien adapté au caractère résidentiel (moins de surface habitable et aménagement intérieur plus problématique), offre une meilleure saillie à la défense que le plan carré en limitant les angles morts. Les étages planchéiés ont été remplacés par des niveaux voûtés, caractéristique qui le rend moins vulnérable au feu et donc propre à la défense.
La tour vue du Sud-Ouest
 
 
Trois ouvertures sont encore perceptibles à chacun des étages : l'une se situe au niveau du rez-de-chaussée ; deux autres sont visibles au premier étage (l'une est bien conservée, de l'autre il ne reste qu'un départ d'arc surbaissé mais elle devait présenter la même configuration que la précédente). Une tour d'escalier permettait de desservir le premier, sous la voûte en cul-de-four, ainsi que la plate-forme au sommet de la tour.

 
Vue de l'intérieur de la tour depuis l'Ouest
Le parement extérieur de la tour est constitué d'un calcaire blond coquillier, relativement tendre : la partie supérieure est construite en grand appareil à bossages rustiques soigneusement parementé, présentant différents modules (certains blocs sont presque carrés, de 28 x 30 cm environ ; d'autres sont quadrangulaires : 54 x 40 cm). L'épaisseur de ces blocs est de 25 cm en moyenne. Quelques-uns sont placés en boutisse pour renforcer la construction. Le relief du bossage varie de 5 à 8 cm d'épaisseur.
Tour vue du Sud
Au niveau des joints, 5 cm de réserve sont ménagés sur le pourtour du bossage de chaque bloc. Les moellons généralement bien équarris sont par endroit appareillés irrégulièrement mais cette imperfection est souvent compensée par l'épaississement des joints. Ceux-ci sont cependant généralement peu épais (2 cm environ). Le glacis, dans la partie basse, est constitué de blocs lisses, bien équarris et soigneusement appareillés. Cet aménagement, à la base de la tour-maîtresse, présente entre 4 et parfois 6 assises de blocs qui prennent directement appui sur le rocher grossièrement taillé et au relief accidenté par endroits. Le fruit est relativement important. Dans ce type d'édifice à caractère défensif, la maçonnerie en glacis évite généralement la sape. Dans ce cas, l'accès est rendu difficile par la forte pente ; il a été conçu vraisemblablement pour faire ricocher les projectiles lancés de la partie sommitale en tir fichant.


L'appareil est homogène et l'on ne note pas de reprises ou différentes périodes de construction. Deux corbeaux taillés en quart de rond sont conservés sur le front Nord-Est de la tour et servent d'appui à une construction en encorbellement, plus vraisemblablement une bretèche qu'un départ de mâchicoulis courant sur le mur attenant (comme l'ont restitué certains des chercheurs ou encore une porte présumée qui, dès lors se révèlerait être trop proche de la tour). L'accès à l'intérieur de cette construction en surplomb reste cependant problématique.
Glacis de la tour vu du Nord
 
La tour est chaînée avec le mur perpendiculaire, orienté Sud-Est/Nord-Ouest. Certains blocs du chaînage d'angle, en grand appareil de calcaire, sont taillés en stéréotomie. La partie restaurée se détache très nettement du reste de la construction dans la partie haute. Cependant, le parement d'origine est conservé sur quelques assises (4 assises de blocs grossièrement appareillés).
 
Jonction de la courtine Nord-Est et de la tour

La tour au corps cylindrique se prolonge en pan coupé ; ses deux niveaux intérieurs sont voûtés en cul-de-four, l'étage supérieur est le mieux conservé.
Du voûtement du rez-de-chaussée (salle A), il ne reste plus que le blocage intérieur et le départ de la voûte matérialisé par des blocs bien appareillés en saillie. Le niveau de sol actuel semble proche de celui d'origine (les restaurations datant d'une trentaine d'années ont été l'occasion du déblaiement de la salle, voir cartes postales du début du XXe siècle). Le problème de l'accès au rez-de-chaussée reste problématique.
Coupole formant couvrement de la salle haute de la tour
La tour mesure environ 4,50 m de diamètre intérieur (l'épaisseur des murs étant de 1,50 m). Le parement intérieur de la tour, de 25 cm d'épaisseur environ, est constitué, comme à l'extérieur, d'assises de blocs bien équarris en grand appareil de différents modules. Les arrachements de deux voûtes en coupole appareillées en calcaire tendre sont visibles : aux angles, les parties ayant fait l'objet d'une restauration sont bien lisibles. Au sol, du côté Nord-Ouest, on note la présence d'une structure maçonnée ayant peut-être appartenu à un ensemble architectural plus ancien, vraisemblablement arasé ensuite (donjon de plan carré antérieur à la construction de la tour-maîtresse philippienne). Deux encoches ménagées sur le parement intérieur de la tour ont pu être mises en évidence sans que l'on puisse leur attribuer une fonction certaine.

L'observation des baies et des ouvertures de tir est susceptible de renforcer la connaissance de la chronologie de la construction de l'ensemble fortifié, daté du milieu du XIIIe siècle. Les trois ouvertures ménagées dans l'épaisseur du mur sont visibles ainsi que la partie inférieure de deux ouvertures de tir dans la partie haute : ces dernières ne sont pas placées dans l'alignement des ouvertures ménagées dans l'épaisseur du mur mais de part et d'autre, en quinconce. Ces archères sont aménagées au niveau du sol de l'étage de couronnement. Il est pourtant impossible de vérifier si celles-ci présentent un fruit ou des aménagements de type étrier dans leur partie basse pour faciliter le tir plongeant, aménagements très courants dans les constructions contemporaines dans la région du Languedoc.

Le couronnement n'est pas conservé mais on peu raisonnablement penser que des merlons alternaient dans la construction avec les ouvertures de tir. Les logements de hourds ménagés au ras du chemin de ronde ne sont pas perceptibles comme dans d'autres tours contemporaines. En revanche, il n'existe pas d'organe de tir aux étages du donjon : les ouvertures conservées aux étages ne sont pas destinées à la défense mais sont relatives au caractère résidentiel de la tour (éclairage et surveillance des abords).



Les fenêtres percées dans le donjon sont au nombre de trois. L'ouverture ménagée dans la tour au premier étage, orientée au Nord-Est, est bien conservée. La baie elle-même, rectangulaire, est relativement réduite. En revanche, l'espace de l'ébrasement intérieur de l'ouverture, ménagé dans l'épaisseur du mur de la tour, est relativement important par l'aménagement d'une niche à coussièges. Une autre ouverture, orientée vers le Sud-Ouest, semble lui répondre car elle présente la même configuration. Seule une partie de l'intrados de l'arc surbaissé est conservé ainsi que la maçonnerie intérieure de la niche. L'arrachement du parement extérieur est visible à cet endroit.
Fenêtre à coussièges de la salle haute
 
La baie aménagée au rez-de-chaussée est moins bien conservée. La partie supérieure est constituée d'un linteau, mais l'intrados de la voûte n'est pas conservé ; il n'en reste que le blocage. L'ouverture s'ébrase légèrement vers l'intérieur, la baie ouverte sur l'extérieur est d'autant plus réduite qu'elle présente une plongée vers l'intérieur dans sa partie basse. Il est exclu que cette ouverture ait eu d'autres fonctions que l'éclairage (observation ou défense), qui devait d'ailleurs être considérablement réduit en l'absence d'autres ouvertures au même étage. L'étage résidentiel se trouvait vraisemblablement au premier.
 
Fenêtre de la salle basse
g. Les salles attenantes à la tour  
Plusieurs constructions ont été réalisées dans le courant du XIIIe siècle
- Le mur parallèle à la courtine, séparant le corps de logis de la " haute cour " est vraisemblablement contemporain de la salle voûtée attenante à la tour.
- La salle attenante située au Nord (salle ultérieurement divisée par un mur de refend côté nord) comporte des éléments de voûte en
calcaire de Peyriac. La face Nord du mur de la première salle ne comporte pas de traces de l'encastrement de la voûte de la deuxième salle
Les salles
qui a donc été montée contre ce mur. La réalisation de la meurtrière est contemporaine de la réalisation de la voûte.
- La mise en place du mur de refend dans la deuxième salle.
- Le chaînage des maçonneries de la courtine et de la tour à l'occasion de la construction de cette dernière. Le regard vertical de la première salle est bouché

Le revers de la courtine attenante à la tour, orientée Nord-Est, est construit en moellons calcaires de moyen et petit appareil. Elle laisse apercevoir, au ras du sol actuel, une archère ménagée à la base du mur. Les ébrasements de cette ouverture et les parements en calcaire blancs sont bien visibles à l'intérieur (les moellons, pour les plus importants, mesurent jusqu'à 47 x 24 cm) ; cette fente de tir a été ensuite murée volontairement. Il est difficilement envisageable que le système défensif de cette courtine n'ait pas été pensé de façon globale. Or, aucune autre archère ne semble avoir été percée dans ce pan de courtine qui donne sur la basse-cour, en tout cas pas au niveau du sol. Que cherchait-elle à défendre ?
Vestige d'un piedroit d'une ouverture de tir
Peut-on envisager une défense problématique en cas d'investissement de la basse-cour par d'éventuels assaillants ?
Plusieurs étapes d'aménagements sont perceptibles : la première, concernerait la construction de la salle voûtée contre la courtine Nord-Est, la seconde, sans doute très proche, aurait concerné la construction de la deuxième salle, elle-même divisée à une troisième période en deux salles plus petites.

Dans cette dernière période d'occupation, les murs sont rendus aveugles : on ne note pas la présence de fenêtres, pas de fentes d'éclairage et pas d'accès ménagé dans l'épaisseur des murs. Toutes les salles sont voûtées en berceau, la première avec des blocs de calcaire de petit ou moyen appareil lié au mortier de chaux rosé.

Dans la première pièce, la voûte s'est en partie effondrée mais une ouverture, sous la forme d'un regard vertical, est encore visible dans l'angle est de la salle de plan approximativement carré. Cette ouverture mesure 104 cm de hauteur dans l'épaisseur de la voûte et 199 cm depuis le départ de voûte jusqu'en haut. La paroi du fond est verticale, elle correspond au parement du mur qui reçoit la voûte. L'ouverture présente une largeur de 75 cm et est soigneusement appareillée. Elle supporte un linteau de 108 cm. Ce regard a été muré, dans sa partie supérieure, à l'aide de deux dalles de calcaire et d'un blocage de pierres. Le mur du côté de la tour est visible sur 9 assises. Dans l'angle Sud de la pièce, le rocher occupe une partie de l'espace. Lui faisant face, le mur de refend séparant les salles 1 et 2 est plus soigneusement appareillé en blocs de grand ou moyen appareil lié au mortier de chaux, mélangé à du gravier.
Ouverture en forme de regard vertical
(salle voûtée du corps de logis attenante à la tour)
La seconde pièce (salle 2), qui présente l'ouverture de tir murée, est particulièrement étroite. Le parement de mur orienté au Sud présente un départ de voûte s'appuyant sur le rocher : trois assises en petit ou moyen appareil de calcaire provenant du site sont conservées (14 x 10 cm et 36 x 15 cm en moyenne) et sont surmontées de six assises en calcaire blanc plus tendre (les modules de pierres sont différents, très longs et peu larges : 24 x 10 cm et 46 x 20 cm). Le blocage est composé de pierres tout venant grossièrement débitées liées au mortier de chaux légèrement rosé.

La troisième pièce (il s'agirait en fait de la partie de la deuxième salle située au nord du refend séparatif), de plan rectangulaire, est délimitée d'un côté par le mur de refend la séparant de la salle 2 et fermée au Nord-Ouest par un mur qui s'appuie sur le mur orienté Sud-Ouest/Nord-Est. La technique de construction est similaire à celle des deux autres salles.

L'absence d'ouvertures, pour l'accès et l'éclairage, ne permet pas d'interpréter ces salles basses, qui s'appuient contre la courtine, comme des lieux de vie mais plutôt comme des bâtiments de service ou comme des entrepôts. Par leur température et leur degré d'hygrométrie constants elles pouvaient servir au stockage alimentaire ; elles constituent en outre un point pratique de distribution et de répartition des produits stockés vers le donjon.

L'épaisseur des murs permet d'envisager un étage et une plate-forme sommitale destinée à la défense, peut-être crénelée. L'accès au chemin de ronde et à l'étage de ce corps de bâtiments pouvait s'effectuer au moyen de l'escalier de la tour. Dans la seconde phase d'occupation, l'essentiel de la défense est reporté au niveau supérieur ce qui ne nécessitait plus une ouverture aussi basse, particulièrement vulnérable. À l'étage pourrait se situer la chapelle castrale mentionnée dans un texte du milieu du XIIIe siècle et serait approximativement orientée.

h. La citerne

L'approvisionnement en eau du site se faisait à l'aide d'une citerne située du côté Nord-Ouest du site, aménagée dans le substrat rocheux et en partie maçonnée dans la partie supérieure.

Elle est surmontée d'une voûte en pierre aujourd'hui en partie effondrée. Cet aménagement permettait la collecte de l'eau de pluie au moyen des toitures (incluant les toitures des constructions adjacentes). Elle présente un plan rectangulaire.

Voûte de la citerne
La partie supérieure, construite en petit et moyen appareil lié au mortier de chaux rosé, est conservée sur quelques assises visibles à l'intérieur lorsque la chape en mortier de tuileau s'est dégradée à certains endroits. Les départs de voûte sont conservés et l'inclinaison permet d'affirmer que l'élévation est presque complète. Elle est isolée et ne semble pas liée avec le corps de logis en contrebas.
Dans l'angle Est, se trouve une pierre taillée rectangulaire en calcaire dans laquelle est creusé un réceptacle de forme ronde correspondant à l'empreinte de la descente en terre cuite (disparue) acheminant les eaux pluviales de la toiture vers la citerne.

Ce système accrédite la présence de terrasses recouvrant partiellement ou entièrement les bâtiments.
Pierre récoltant l'eau provenant des toitures
et l'orientant vers la citerne
 
i. Le bâtiment central (localisé sur la plate-forme central, au Sud-Est de la citerne)
Sur la plate forme supérieure, on distingue nettement deux espaces différenciés : une partie accidentée au Sud-Ouest, et une terrasse au Nord-Est. Sur celle-ci, des vestiges de différents vestiges de carreaux de terre cuites et de ragréages sont visibles et témoignent de l'utilisation de cet espace comme intérieur d'une pièce. Les murs ne sont pas conservés en élévation, à l'exception d'un massif ruiné en limite avec la citerne.

Aucun accès n'est visible : pas de trace de pas et d'encadrements de portes. Cette zone a été soigneusement aplanie avant la construction de
Plate-forme centrale depuis le Sud-Est ;
on distingue nettement la partie nivelée correspondant
à l'emprise du bâtiment central
l'édifice. Les dimensions (6 x 7 m environ) et l'épaisseur relative du mur conservé pourraient laisser supposer que l'on se trouve en présence des vestiges d'un bâtiment important.

Au Sud-Est de la citerne, deux murs sont visibles. Le plus large, présente un parement conservé sur quelques assises du côté de la plate-forme centrale, le reste est constitué d'un amas de blocage (1,20 m de large pour la partie conservée). Côté citerne, un autre mur est juxtaposé au premier.

Pour le plus large, il pourrait s'agir de la limite extérieure du bâtiment de dimensions importantes construit sur la plate-forme, l'autre mur étant le mur de parement Sud-Ouest du bâtiment de la citerne.
Rocher grossièrement taillé (Sud-Ouest de la citerne)
Dans une partie relativement accidentée, au Sud-Ouest de la citerne, le rocher est grossièrement taillé en angle droit à deux endroits, sans doute pour accueillir ou supporter les murs du bâtiment de la citerne.

j. La basse-cour (au Nord-Est du corps de logis)

Au Nord-Est, plusieurs aménagements sont encore perceptibles dans les infractuosités du rocher et sur des terrasses situées en contrebas du plateau sommital. Une plate-forme est taillée dans le rocher. La muraille qui protégeait cette basse-cour a complètement disparu mais l'emprise des murs est encore perceptible sur le sol.
Vue aérienne montrant la basse-cour. On distingue la différence de couvert végétal
pouvant correspondre à l'emprise d'un bâtiment rectangulaire. Vue du château depuis le Nord-Est
Sur les vues des cartes postales anciennes, le couvert végétal est moindre qu'aujourd'hui et l'on distingue bien cet espace aménagé qui a été aplani pour la construction de bâtiments divers. Sur une vue aérienne, on distingue ce qui pourraient être les vestiges d'un bâtiment carré, visibles sous le cône d'éboulis. Sous ce cône de déjection, le sol archéologique est vraisemblablement conservé. Seule une fouille archéologique permettrait de donner une attribution définitive aux bâtiments aménagés dans cet espace.

B - Techniques de construction et phases mises en évidence


a. Techniques de mise en oeuvre
Des roches calcaires grises, relativement dures, ont été utilisées pour la construction : le site de Gruissan a servi en partie de carrière. La plupart des murs périphériques des remparts sont constitués de moellons posés en assises régulières et en moyen appareil. Ces pierres proviennent du site-même et sont soigneusement appareillées avec un mortier grossier (sable, gravier, chaux).
Pour la tour, un calcaire blond, plus tendre a été utilisé ; il proviendrait d'une carrière située sur l'île de Sainte-Lucie appartenant à l'archevêque . Un autre calcaire blanc, tendre, a été utilisé dans une des salles attenantes à la tour, pour la construction de la voûte en berceau et les ébrasements de l'ouverture de tir (proviendrait de carrières situées à Peyriac-sur-Mer). Le liant est constitué de mortier qui présente à certains endroits des fragments de terre cuite pilée (brique et tuile qui renforcent la texture du mortier et diminue le retrait). Dans d'autres constructions, comme la citerne, les agrégats employés sont constitués de gravier ; le mortier hydraulique a été utilisé pour la rendre étanche.
Les pierres sont plus soigneusement taillées pour les lignes de force de l'architecture, les chaînages d'angle en particulier. Le moyen appareil est traditionnellement utilisé sur le site ; certaines pierres d'angle, des dalles ou des linteaux présentent des dimensions plus importantes. La tour fait aussi exception.
Les murs présentent une technique de construction commune ; ils sont constitués de deux parements de blocs calcaires soigneusement assisés contenant un blocage tout-venant composé d'éclats de taille et de petits blocs liés au mortier de chaux. L'épaisseur des joints varie de quelques centimètres.
Les murs n'ont pas tous des largeurs similaires et celles-ci peuvent même considérablement varier. Les trous de boulins servant à placer les échafaudages ne sont pas visibles ; certains parements de courtine ne sont pas suffisamment conservés en élévation à d'autres endroits, ils ont dû être bouchés.
En l'absence de fouilles, il est difficile de déterminer les niveaux d'occupation d'origine. À l'intérieur de la tour, le niveau de sol semble avoir été atteint lors des restaurations. Ce n'est pas le cas des pièces attenantes et de la citerne qui sont en partie comblées par des déblais, certains provenant de l'effondrement des voûtes. Un cône de déjection recouvre une zone interprétée comme étant la basse-cour mais l'organisation de cette plate-forme nous échappe et d'éventuelles fouilles archéologiques seraient nécessaires pour en comprendre l'agencement.
Il ne subsiste aucun vestige de la couverture des différents corps de bâtiments, à tout le moins pour ceux qui ne présentaient pas de plate-forme sommitale. Cependant, des fragments de tuiles canal de terre cuite sur le site tendraient à confirmer ce mode de couverture dans ce lieu.

b. Chronologie relative
L'observation des élévations a permis de mettre en évidence la présence de différentes techniques de construction (types de calcaire, de mortier, divers modules de pierres…), des interruptions de maçonnerie correspondant aux diverses phases d'occupation.

Il semble qu'une première campagne de construction soit relative à une période que l'on pourrait situer au XIIe siècle. Plusieurs ensembles présentant des similitudes : la partie Nord-Ouest du site comprenant le mur de courtine orienté vers le Nord-Ouest et le pan du mur formant le retour de la courtine vers le Sud-Est qui présentent des techniques de construction similaires : petit et moyen appareils de calcaire provenant du site, utilisation d'un mortier de chaux avec des petits galets.

La basse-cour pourrait dater de la même époque. L'ensemble des courtines, situé dans la partie Sud de la plate-forme sommitale, se rattacherait à cette même phase de construction (en moyen appareil lié au mortier de chaux mélangé à de petits galets). Le mur, visible sur le sol de la tour et la séparant des salles attenantes est probablement contemporain. Il s'agit vraisemblablement du prolongement de la courtine Sud-Est. En l'absence de fouilles, il n'est pas possible de dire si un état antérieur du corps de logis était construit à la même époque.
Dans un deuxième temps, on construit la première salle du corps de logis, puis la seconde.

La troisième campagne
de construction a eu pour conséquence de murer l'ouverture de tir dans la seconde salle basse attenante à la tour par la construction du refend transversal. Les techniques de construction sont peu différentes de la campagne précédente. Cette phase pourrait dater de la seconde moitié du XIIIe siècle, et avoir été occasionnée par la nécessité d'un partage physique entre les propriétés des deux co-seigneurs. C'est peut-être au cours dune période assez proche, qu'a été édifié le bâtiment rectangulaire construit sur la plate-forme centrale. II a apparemment été construit contre le bâtiment de la citerne, et contre celui du corps de logis (décaissement du sol pour fonder les murs au-delà de l'emplacement du mur Ouest du corps de logis, plus grande épaisseur des murs, utilisation du calcaire de Sainte-Lucie avec un gros appareil calé avec des casseaux...).

La quatrième campagne
est relative à l'édification de l'éperon que forme la courtine dans l'angle Ouest du site (plus grande épaisseur des murs, appareil soigné ...). Elle semble correspondre à une campagne globale de refortification du site dans la seconde moitié du XIIIe siècle.

La construction de la tour de Broa est un évènement à part.
Elle possède toutes les caractéristiques d'un bâtiment ostentatoire, à la mode royale (tour ronde sans ouvertures de tir, parements à bossages, appareil et montage à joints fins). Elle ne peut avoir été construite qu'après 1370 (date à laquelle apparaît ce type de tour dans la région), et probablement à la charnière des XIIIe et XIVe siècles dans une période proche de la construction de la tour de Gille Aycelin à Narbonne.

La fortification et l'aménagement des courtines au Sud du site permettant un accès protégé est postérieur (XIVe siècle ?) car l'un des pans vient s'appuyer contre la tour sans être chaîné à celle-ci. Aucune adjonction d'aménagements de dispositifs architecturaux liés à l'emploi des armes à feu n'a été mise en évidence, bien que l'on sache par de multiples textes que le château était utilisé pendant les guerres de la Ligue.

D'ailleurs, dans l'ensemble, les éléments défensifs sont relativement peu nombreux. Des ouvertures de tir sont encore visibles dans la partie sommitale de la tour, sans que l'on sache si elle était couronnée par des merlons : l'essentiel de la défense était cependant concentré dans la partie sommitale et devait être essentiellement passive, jouant sur la topographie du terrain et l'épaisseur de la construction.

Le village et le château de Gruissan (circulade languedocienne associée à un château présentant des caractères ostentatoires et des éléments de confort relatifs à un aspect résidentiel affirmé) forment un ensemble de référence pour l'architecture civile et militaire médiévale. À ce titre, une mise en valeur et une étude adaptées à l'importance de ce patrimoine doivent être poursuivies.


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